POINT DE VUE DE PNC-FRANCE, par Jean Pierre PERVES, Groupe d’experts de PNC
SNBC3 et PPE3 : cahier d’acteur déposé par PNC-France
L’Association de Défense du Patrimoine nucléaire et du Climat (PNC-France) a déposé un cahier d’acteur dans le cadre de la concertation concernant la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC3) et la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE3). Notre association défend l’idée qu’un programme écologique mûrement raisonné, fondé sur des études scientifiques et économiques, ne laissant place ni aux émotions ni aux idéologies, doit être privilégié : ce n’est pas le cas !
Que constatons-nous ? Les perspectives annoncées restent lourdement influencées par les orientations idéologiques véhiculées depuis plus d’une décennie par l’administration française, sous la pression des politiques en place. Faut-il oublier que le projet insensé d’arrêter 14 réacteurs en 2025 (puis en 2035), avec une sortie annoncée du nucléaire, n’avait été contestée à aucun niveau (DGEC, ADEME, RTE, CRE) ! Le discours de Belfort du Président de la république le 10 février 2022, a mis fin à cette folie. Depuis, sous l’action dynamique du ministère de l’énergie, le nucléaire tente de retrouver sa place d’énergie souveraine et efficace. Un programme de 6 à 14 réacteurs EPR2 et la prolongation du parc actuel ont été engagés, la voix de la France s’est enfin fait entendre en Europe avec l’Alliance pour le nucléaire. C’est bien !
Mais, dans le même temps, rien ne change réellement :
- Le financement du programme nucléaire reste dans les limbes, EDF prenant encore seul le risque d’engager de très importants investissements sans que sa production, garante de l’équilibre du réseau, soit reconnue et traitée de façon équitable face à l’agressivité de la finance verte.
- Le bilan du passé n’est pas présenté par le ministère : faut-il rappeler que les deux secteurs responsables de l’essentiel des émissions de GES, les transports et les bâtiments ont fort peu progressé alors que d’énormes investissements ont été consentis. Les échecs passés, ne sont pas traités , notre dépendance se creuse et notre potentiel industriel poursuit sa décrue!
- Les objectifs de la PPE comme de la SNBC restent pratiquement identiques à ceux de versions précédentes, hormis l’orientation sur la place du nucléaire, comme si l’évolution de ce dernier domaine n’avait aucun impact sur la vision à moyen terme, comme si l’impact des crises de ces dernières années étaient ignoré (envolée des prix, désindustrialisation, consommation atone).
- L’agressivité de la Commission européenne vis-à-vis du nucléaire, encore renforcée avec la nouvelle commission, continue à fragiliser notre mix énergétique sans que notre administration ait enfin reconnu que la priorité accordée à une électricité intermittente invasive était mortifère pour notre mix électrique, un des plus décarboné au monde. L’objectif d’une plaque de cuivre européenne, avec des développement massifs d’interconnexions transfrontalières, conduit à une volatilité extrême du marché et des prix élevés résultant d’une insuffisance de capacités électriques pilotables, de flexibilités des consommations et de capacités de stockage. La France ne peut abandonner sa souveraineté énergétique, reconnue par les traités européens, alors que les politiques énergétiques des États-membres s’affrontent sous l’œil partial de la Commission, la neutralité technologique étant bafouée par celle -ci.
Le gouvernement doit dans l’urgence redéfinir la politique énergétique du pays en s’appuyant sur une étude d’impact approfondie, effectuée sans parti pris par des organisations compétentes sous le contrôle de l’OPECST avec l’appui des Académies. Il convient de remettre dans le droit chemin, celui d’une France forte, l’ensemble de l’Administration, les entreprises nationales et les autorités indépendantes du secteur, parfois plus soucieux de leurs pouvoirs ou de leurs développements que de l’intérêt du pays. PNC-France rappelle que le futur repose sur le vecteur électrique. Celui-ci doit servir le pays, son activité économique, ses familles. Il doit être maîtrisé, souverain, pilotable, projeté sur le long terme. L’examen des succès passés doit servir de référence. Toutes les étapes doivent retrouver leur efficacité, engagement industriel, réactivité des étapes réglementaires, relance des travaux sur la quatrième génération afin de bénéficier de notre formidable ressource stratégique d’uranium appauvri. C’est à l’échelon du siècle que notre futur énergétique doit être pensé, et il doit être robuste.
ILLUSTRATION
Nicolas WAECKEL
Janvier 2025
Le point de vue de PNC-France sur les documents de planification énergie-climat soumis à la concertation
EN BREF
PPE3&SNBC3 : Une poursuite aveugle des objectifs de la LTECV?
La SNBC3 et la PPE 3 sont globalement similaires aux versions précédentes, sauf vis-à-vis du nucléaire, :
- L’allongement de la durée d’exploitation du parc et le lancement de 6 EPR2 sont actés, mais pas les 8 tranches supplémentaires nécessaires à la pérennisation de la filière.
- La durabilité du nucléaire fondée sur des RNR alimentés par l’immense stock d’uranium appauvri est reconnue, mais aucun calendrier décisionnel n’est proposé.
- Les développements de SMR calogènes en France, électrogènes en ZNI ou à l’export sont pertinents.
Pour une PPE3 fondée sur des études sérieuses d’optimisation et des solutions technologiques et industrielles robustes
Une consommation d’électricité dynamique, mais des objectifs improbables de consommation d’énergie
L’’évolution envisagée de la consommation d’électricité semble cohérente avec un objectif d’électrification des usages (560 TWh en 2025 et 640 en 2035), mais il est regrettable que les hypothèses retenues pour cette évaluation ne soient pas précisées. La baisse récente serait conjoncturelle selon RTE : « la consommation électrique pourrait avoir atteint en 2023 un palier à partir duquel elle s’infléchirait progressivement à la hausse ». Il est préoccupant que, depuis 2019, la baisse ait plus concerné l’activité économique (industrie et tertiaire – 9,5%), que la vie des Français (résidentiel et transports – 4,5 %). Les incertitudes sur l’évolution de la consommation conduisent à retenir une dynamique de développement très prudente des énergies électriques intermittentes (EnRi), très capitalistiques, et à favoriser une remise à niveau des capacités pilotables au bénéfice de la robustesse de notre mix.
La baisse de la consommation d’énergie finale (1243 TWh en 2030) est plus qu’ambitieuse. Elle n’a été que de -2,7 % de 2012 à 2019 et conjoncturellement de -6 % de 2019 à 2023 selon le SDES. Or l’objectif 2030 est 6 fois plus rapide qu’avant les crises (-18 % en 7 ans).
De 2005 à 2023 les émissions de CO2éq ont diminué de 540 à 373 Mt, mais largement en raison de la désindustrialisation et du basculement du fioul et du charbon au gaz. Espérer une réduction des émissions de 15 Mt/an est improbable. Une électrification massive des usages, nécessaire, ne sera acceptée qu’en baissant les prix de l’électricité.
Mobiliser le secteur électrique en reconstituant une gouvernance réelle
La PPE3 passe sous silence l’augmentation d’un facteur 2,2 du prix de l’électricité pour un ménage de 2010 à mi-2024. Les raisons sont identifiées : marché européen de plus en plus volatil fondé sur le prix du gaz, financement des EnR et de leurs externalités, et indisponibilité conjoncturelle du nucléaire. La France bénéficiait de la compétitivité de son nucléaire et d’un mix électrique robuste et décarboné, porté par des productions pilotables. Le prix moyen du mix était maîtrisé et cohérent avec celui de son parc. Les interconnexions transfrontalières suffisaient à l’optimisation des investissements en moyens de production à un niveau ne portant pas atteinte à la souveraineté du pays. Sous l’impulsion de ministres successifs de l’environnement ralliés à la doctrine germano-européenne :
- L’arrêt des centrales fossiles (charbon et fioul) et de Fessenheim, a conduit à une baisse de 12 GWe de la puissance pilotable, sans mise de capacités en réserve (contrairement à l’Allemagne).
- Les EnRi ont été massivement déployées, 47 GWe et 73 TWh/an aujourd’hui, sans garantie de production ni responsabilités dans l’équilibre du réseau.
- Les liaisons transfrontalières, développées à marche forcée en France et en Europe, favorisent un déversement non maîtrisé des productions fatales intermittentes de nos voisins sur notre réseau (loops et free riding). Il en résulte une envolée des prix lors de pénuries de production d’EnRi, et une multiplication des épisodes de prix négatifs lors des surproductions. Le BP 2023 de RTE relève que « ces transformations renforcent la corrélation entre les profils de production d’électricité sur le continent et donc l’incidence des modes communs » et que « le système électrique apparaît de plus en plus confronté à des épisodes de défaillances longues ».
- En s’effaçant sans compensation financière devant les EnRi, les productions pilotables décarbonées sont spoliées alors qu’elles contribuent à l’équilibre du réseau et à la décarbonation implicite de nos voisins antinucléaires. La question de la responsabilité de chaque État-membre vis-à-vis de ses propres besoins de flexibilités (production et consommation) doit être levée par les autorités française et ne doit plus être ignorée par la Commission européenne.
- Les cinétiques des productions intermittentes vont devenir ingérables en France. En 2035, avec de 133 à 163 GWe d’EnRi, les variations temporelles de puissance délivrées seront fréquemment de 40 à 50 GWe en 4 heures, sans préjuger de l’impact d’environ 1000 autres GWe d’EnRi sur le réseau européen. Les flexibilités envisagées étant notoirement insuffisantes, des délestages massifs s’annoncent tant à la production qu’à la consommation, avec leurs conséquences économiques, financières et sociales. RTE dans le BP 2023 s’inquiète de « la surabondance d’électricité sur la plage méridienne» sans identifier les moyens de s’en protéger, et le Président de RTE déclare que « les exigences de sécurité d’alimentation du réseau ne sont tout simplement pas compatibles avec un pourcentage trop élevé d’Énergie Fatale Intermittente », sans le quantifier !
Or, aucune entité n’est aujourd’hui missionnée pour optimiser le programme d’investissement et garantir un équilibre pilotables/EnRi acceptable, techniquement et économiquement. L’impact sur la stabilité du réseau et sur les prix du développement massif d’EnRi est largement sous-estimé. PNC-France estime que la puissance publique, la DGEC en particulier, devrait prendre en charge cette évaluation, avec le soutien d’EDF et de RTE, qui seuls disposent des capacités de simulation nécessaires. L’obligation de la DGEC est d’identifier et de publier les risques et leurs conséquences sur des bases scientifiques, sans céder aux injonctions politiques et idéologiques, nationales ou européennes. L’avis des Académies et un contrôle par l’OPECST seraient précieux.
L’effort doit viser à réduire notablement les investissements dans les EnRi, à rétablir la capacité pilotable et à réduire les coûts des réseaux et des flexibilités. Cette hausse du « pilotable » ne peut passer aujourd’hui que par des unités à gaz (biogaz compatibles) de pointe et d’hyper pointe, sans impact sensible sur les émissions de CO2(ce que confirme RTE). La maîtrise des prix est une priorité tant pour l’électrification que pour la décarbonation du pays.
Les réseaux électriques de plus en plus sous tension
Leur développement est massif en Europe et en France malgré une complexité croissante et une maîtrise qui régresse : modes communs des EnRi induisant des surproductions ingérables, dispersion des moyens de production et fonctionnements de plus en plus bidirectionnels.
Cette dérive est accentuée par la disparition annoncée des centrales thermiques à charbon en Europe, réduisant l’apport essentiel de l’inertie de leurs machines tournantes à la maîtrise du réseau, sans technologie de substitution au niveau requis. RTE, juge et partie, recommande un triplement de ses investissements (et ENEDIS un doublement). Qui en a contrôlé la justification ?
PNC-France estime également que le niveau actuel de liaisons transfrontalières est déjà suffisant si nous ne voulons pas fragiliser notre mix. Le parc nucléaire doit rester l’outil majeur de notre gestion saisonnière de la consommation (arrêts de tranche), et nous devons nous protéger des surproductions invasives des pays voisins. C’est une question de souveraineté mais aussi de capacités d’investissement : quel intérêt climatique avons-nous à substituer à l’électricité la moins carbonée, le nucléaire, des EnRi de 3 à 10 fois plus carbonées ? Pourquoi nous suréquiper en EnRi quand nos voisins le font déjà ? Est-ce notre intérêt d’importer massivement les équipements EnRi à renouveler tous les 20/25 ans?
La réalité du coût des moyens de production
110 milliards ont été affectés aux EnRi selon I4CE de 2011 à 2023). Leurs externalités négatives ont été reportées sur un autre poste, le TURPE. Ce dernier devrait augmenter de 15 % en 2025 (la CRE recommande 10 %). Plus grave, la CRE ne dévoile pas l’évolution du TURPE à moyen et long termes, et n’alerte pas l’État de ce risque économique, quand 200 milliards vont être consacrés aux réseaux et alors que le coût de la flexibilité est plus qu’incertain (stockages, effacements et gestion des capacités).
PNC-France estime que le rôle de protection des consommateurs par la CRE est dévoyé. Sa présidente affirme que « ses deux objectifs sont de s’assurer qu’on a une liquidité suffisante sur le marché européen au-delà de 2026 et de jouer son rôle de surveillance pour éviter toute transaction suspecte ou toute opération qui pourrait être préjudiciable au bon fonctionnement des marchés ». Puis elle précise que « les fournisseurs alternatifs peuvent faire des offres de marché à leurs clients dans des conditions qui sont satisfaisantes » et « qu’on vérifie donc les parts de marché d’EDF sur ces différents horizons et celles des fournisseurs alternatifs ». Est-ce son rôle de garantir la production et les revenus de fournisseurs alternatifs sans réelles responsabilités, dont la plupart ne produisent pas. PNC-France estime nécessaire un recadrage des objectifs de la CRE sur sa mission fondamentale qui est de veiller au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz en France, au bénéfice de tous les consommateurs.
Le vecteur électrique, outil de la décarbonation : une évidence !
De 2012 à 2023, selon I4CE, environ 190 milliards ont été investis dans la rénovation énergétique des logements et 63 dans le tertiaire. Le résultat, modeste, est un gain de moins de 10 % sur la consommation énergétique (de 763 à 701TWh/an), et de 32 % sur les émissions de CO2 (79 ,8 à 54,5 Mt). La baisse est encore plus décevante dans les transports, avec environ 100 milliards investis, et des baisses de 5,5 % et de 7,3 %. Il est urgent de dresser un bilan complet et de redistribuer massivement les financements et les soutiens de l’État en faveur d’une décarbonation des usages, en substituant électricité et EnR thermiques au gaz et au pétrole. Cela ne peut se réaliser qu’avec une électricité souveraine, un rétablissement des capacités de production pilotables et un prix conforme à celui de notre mix, complétant une mise en œuvre des technologies les plus compétitives de maîtrise de l’énergie.
Le cadre européen doit respecter les traités et la neutralité technologique. Une action forte de la France sera indispensable face à d’inquiétantes nominations de commissaires antinucléaires.
Conclusions de PNC – France
PNC-France estime que cette PPE, plus incantatoire que réaliste, est vouée à l’échec : des objectifs majeurs sont inatteignables et entraineront des troubles sociaux et politiques qui obéreront leur atteinte. La France est en droit d’attendre un plan qui prend en compte l’impératif d’une énergie bon marché, décarbonée, fiable et maîtrisée, ayant la réactivité nécessaire à l’évolution constatée de la consommation. Retarder encore la relance du nucléaire fragilise l’industrie et les performances de notre mix à l’horizon 2050. Ne pas s’interroger sur le mix de la seconde moitié du siècle, en intégrant notamment une visibilité sur les réacteurs surgénérateurs, revient à gaspiller les connaissances acquises par la France et à ignorer le risque géopolitique sur les ressources. La souveraineté énergétique de la France ne peut dépendre des décisions et orientations d’une Europe divisée, et d’une Commission qui refuse le principe d’une neutralité technologique.
Lire le Cahier d’acteur de PNC France au format pdf :
