Réseau – Turpe – À quel prix ?

03 / 06 / 2024

Point de vue de Pnc

Courtermisme et défaut d’analyse ! Où est l’analyse stratégique ?

 

Comment modérer les prix de l’électricité ?

Ils sont toujours là, dans la haute administration, dans les cabinets ministériels, ceux qui nous ont infligé une LTECV au nom d’une  « croissance verte » mortifère, toujours d’actualité. Ils nous livrent à présent leur nouvelle martingale :  ils ne changent rien, ils mâtinent juste notre futur d’un soupçon de nouveau nucléaire et exigent du nucléaire existant de faire au mieux, le plus longtemps possible, en se dédouanant  des arrêts de 14 réacteurs qu’ils avaient programmés en 2025 puis en 2035. Et que dire du SGPE (Secrétariat Général à la Planification Écologique) pour qui la seule décision concernant le nucléaire est le lancement du nième débat public sur les projets de construction de réacteurs EPR2 (au diable donc la relance urgente du nucléaire annoncée à Belfort par le Président ?).

La consultation de décembre 2023 à janvier 2024 sur la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie) et la SFEC (Stratégie Française pour l’Énergie et le Climat) est déjà oubliée et son rapport enterré, avant même d’avoir été publié. Une nouvelle consultation sur la PPE s’engage en plein été, pendant les jeux olympiques, sur la base de dossiers cadenassés, sans la moindre analyse coût/bénéfice des investissements induits.

Tout semble verrouillé : la vision 2035, qui nous sera très probablement présentée dans cette PPE3 (et plus tard intégrée à la SFEC), conduit à près de 120 GWe de capacités intermittentes, les ENRi (éolien et solaire), qui produiront environ 215 TWh, le tiers des 640 TWh requis, le reste étant apporté par les énergies pilotables, et le nucléaire en particulier. La variabilité rapide de la production du parc EnRi pose un grave problème pour la stabilité du réseau. Peu importe ! Oubliant que « Gouverner c’est prévoir », la doctrine du « On verra plus tard » domine. Un kWh de production intermittente ne sera jamais équivalent à un kWh pilotable, les flexibilités à ce niveau de puissances installées étant illusoires.  Conclusion : le vecteur énergétique du futur sera de plus en plus aléatoire !

Parfois nous aurons trop d’une production apportée par Éole et Hélios, bien souvent en même temps que chez nos voisins, elle sera bradée sur les marchés mais son achat à prix garanti restera payé aux producteurs rubis sur l’ongle par nos concitoyens. A d’autres moments il n’y aura pas assez de production, encore en même temps que nos voisins, et la cigale française, qui a détruit 12 GW de puissance pilotable depuis 12 ans (dont Fessenheim), devra alors faire appel à Hadès et aux capacités fossiles des fourmis voisines, qui ont su conserver leurs parcs pilotables et qui se gorgent de prix de vente spéculatifs d’une électricité souvent carbonée.

Les SDDR (Schémas De Développement des Réseaux) de RTE et de ENEDIS mettent en musique cette vision délétère en programmant un investissement de 196 milliards en 15 ans pour adapter les réseaux à ces fournitures diffuses, avec la bénédiction de la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie). A ces milliards il faudra encore ajouter le financement de la construction d’ENRi dont les composants sont largement importés (soit une centaine de milliards au bas mot), une contribution aux interconnections électriques prônées par la commission européenne (à quel coût ?) et, cerise sur le gâteau, le développement d’une flexibilité massive, dont la faisabilité et les coûts sont parfaitement inconnus, de l’aveu même de RTE qui demande que des « stress tests » annuels soient réalisés. La réindustrialisation, sauf chinoise bien sûr, est déjà mise à mal !

RTE s’est apparemment interdit de restaurer notre marge de puissance pilotable avec des centrales à gaz (fossile et/ou renouvelable). Un investissement qui serait considérablement moindre avec des émissions de CO2 faibles (voisines de celles qui résulteraient d’importations), et nous mettrait à l’abri d’une spéculation qui domine le marché européen. Mais tant le gouvernement que RTE ou la CRE, se refusent à présenter (et peut-être à étudier) des scénarios diversifiés, robustes pour les uns (fondé sur la pilotabilité de la production) et aventureux pour les autres (des capacités ENRi massives adossées à une flexibilité extrême).

Avec ses modestes moyens, PNC-France a tenté d’évaluer dans l’article « Prix de l’électricité et du TURPE :  impact des niveaux relatifs de puissances installées pilotables et intermittentes à l’horizon 2040 » (Jean-Pierre Pervès et Jean-Pierre Robin), l’impact sur les finances publiques et sur le prix de l’électricité d’un programme ENRi plus modeste, adossé à quelques capacités gaz pour les pointes de consommation, dans l’attente du nouveau nucléaire. Le gain serait considérable, notre souveraineté mieux préservée et les économies réalisées seraient judicieusement utilisées pour encourager une électrification plus rapide des secteurs très émetteurs de GES, dans le bâtiment et les transports par exemple. Notre calcul est-il réaliste ? En Allemagne, avec déjà 152 GWe d’ENRi distribués par 26 gestionnaires de réseaux, on constate que les frais de réseaux varient d’un facteur trois (50 à 150 € par MWh) selon la densité des ENRi sur le territoire du réseau.  Ne faudrait-il pas tirer bénéfice d’une analyse du passé ?

 

ILLUSTRATION : Nicolas WAECKEL

 14 mai 2024

Prix de l’électricité et du TURPE :  impact des niveaux relatifs des puissances installées

pilotables et intermittentes à l’horizon 2040

Par  Jean-Pierre Pervès et Jean-Pierre Robin

  1. Préambule

La trajectoire énergétique annoncée par le Président de la République à Belfort, reprise par RTE dans sa proposition de Schéma Décennal de Développement du Réseau (SDDR) pourrait conduire, en méconnaissant la réalité du prix complet de chaque moyen de production, à une poursuite de l’envolée du prix de l’électricité constatée depuis une douzaine d’années. A notre connaissance, aucune étude approfondie des évolutions du prix du MWh électrique, incluant celle du TURPE, n’a été conduite aux horizons 2035/2040. Une telle étude d’optimisation entre objectifs climatiques, soutenabilité économique et compatibilité sociale est nécessaire pour les raisons développées dans l’analyse prospective ci-dessous. Deux grandes faiblesses caractérisent les visions du mix électrique, en Europe et plus encore en France :

  • Les projections à moyen et long terme reposent sur des productions alors que celles-ci deviennent de plus en plus aléatoires.
  • La maîtrise de la production va dépendre de plus en plus d’un vaste projet, la « flexibilité », aujourd’hui largement hypothétique, dont les méthodes de fonctionnement et surtout le coût sont largement inconnus en l’absence d’étude d’impact des mesures envisagées.

Il en résulte une grande incertitude sur les prix futurs de l’électricité, confirmée par Emmanuelle Wargon et par Agnès Pannier-Runacher devant la commission sénatoriale sur les prix de l’électricité.

  1. Le réseau : une part importante et croissante du prix de l’électricité

RTE et ENEDIS, ont récemment annoncé un plan important d’investissement dans le réseau (respectivement 100 milliards et 96 milliards €). En parallèle, la Commission européenne prône le développement des interconnexions, de façon à fluidifier les échanges entre les opérateurs de divers pays, en faisant en sorte que la capacité des interconnexions ne soit pas un facteur limitant : cet investissement est estimé à 500 milliards sur une trentaine d’années, investissements qui devront être répartis entre les divers opérateurs des réseaux (électricité, biogaz et hydrogène).

Quel sera l’impact de ces investissements dans les réseaux sur les coûts de l’électricité distribuée aux consommateurs alors que l’électricité va devenir un vecteur énergétique majeur ? On constate que, depuis que les énergies renouvelables électriques intermittentes se sont développées (ENRi), les prix de l’électricité se sont envolés, par rapport à 2013, d’un facteur 1,54 en août 2021, puis 1,9 en janvier 2024 (TRV 6 kW), alors même qu’EDF était contraint de brader à bas prix de 25 à 43 % de son électricité nucléaire (l’ARENH). Les crises des années passées, entre la baisse des activités économiques avec la COVID et la hausse des prix liée à la guerre en Ukraine et à la faible disponibilité du parc nucléaire, ont provoqué un léger tassement de la consommation d’électricité, de l’ordre de 5 % (de 475 à 455 TWh). Cela démontre, s’il en est besoin, l’importance de la maîtrise des prix de vente de l’électricité pour atteindre le double objectif de décarbonation et de réindustrialisation du pays.

L’investissement prévu par RTE vise à remettre à niveau un réseau qui a une quarantaine d’années, à accroître sa résilience, mais surtout à l’adapter à une production intermittente croissante. Les raccordements de ces moyens de production, très dispersés géographiquement, se font très majoritairement au niveau du réseau de distribution d’ENEDIS (80 % ), ce qui oblige à rehausser la tension pour l’injecter dans le réseau HT de RTE pour une meilleure distribution sur tout le territoire. En ce qui concerne l’éolien maritime, les coûts de raccordement et les stations de conversion sont très importants, soit 1,2 milliard par GWe installé dans le dernier appel d’offre[1]. Or les coûts de ces investissements sont amalgamés, quels que soient les moyens de production, dans un paramètre économique global, le TURPE, acronyme de Tarif d’Utilisation de Transport des réseaux Publics d’Électricité. Ce TURPE devient une composante importante du prix de l’électricité : il dépend au premier ordre du type de moyen de production, centralisé et pilotable ou diffus, intermittent et aléatoire.

Les impacts du développement futur des divers moyens de production sur les coûts du réseau électrique, et donc sur le TURPE doivent être évalués précisément et sélectivement.

  1. Comment évaluer l’impact sur le TURPE des investissements proposés pour adapter le réseau électrique

Nous nous trouvons face à un mur d’investissements pour les réseaux, d’environ 196 mds€ d’ici 2040, auquel pourrait s’ajouter une quote-part du programme européen.

a. Le bilan de RTE

En 2023 le chiffre d’affaires de RTE a été de 6,1 mds€[2]. Les investissements ont dépassé pour la première fois 2 mds € en 2023, dont 1,750 mds € pour les réseaux. Or RTE prévoit une augmentation rapide et progressive des investissements annuels, de moins de 2,2 mds € en 2024 à 3,7 à 5 mds € en 2027, puis à un rythme de 6 à 6,5 mds €/an jusqu’en 2040 . Quatre nouvelles interconnexions sont incluses dans ces prévisions[3]. Pour rappel ces investissements n’étaient que de 1,2 mds €/an avant 2021.

 b. Le bilan de ENEDIS

Le chiffre d’affaires de la distribution d’électricité est en année normale d’une quinzaine de milliards € incluant la vente d’électricité. Les investissements, qui étaient de 2 milliards par an en 2006, ont cru avec le développement des ENRi à 4,35 mds€ en 2023 et devraient s’établir à plus de 5 milliards par an en fin de décennie, essentiellement pour connecter les ENRi et alimenter les VE.

 c. Le réseau européen

L’Europe a estimé à 500 Mds d’€ les investissements à consacrer aux réseaux transfrontaliers d’ici 2050, dont environ 300 sur les réseaux électriques (European Green Deal et REPowerEU). Quelle devra être la contribution de la France, dont le parc nucléaire pilotable servira de plus à équilibrer le réseau soumis aux aléas des EnRi en forte augmentation sur la plaque européenne ? Pour cette approche, nous considérons que ce poste est pris en charge dans le cadre du SDDR (8 interconnexions, dont 4 dédiées y sont citées)

d. Le mur d’investissements

Ce mur d’investissements inédit d’environ 196 mds € sur 15 ans devra être absorbé par le seul prix du kWh vendu, c’est-à-dire via le TURPE , en fonction de l’évolution de la consommation, hors éventuelle contribution supplémentaire au investissements européens (à clarifier).

 e. La consommation va-t-elle augmenter sur la période 2025/2040 ?

La position de PNC-France est inchangée : il s’agit de décarboner tous les usages (bâtiments, transports, industrie) même si le retour d’expérience tend à montrer que les objectifs affichés sont hors d’atteinte si l’électrification n’est pas accentuée et accélérée. Il faut également encourager la réindustrialisation. A ce titre, PNC-France propose de maintenir un objectif de 640 TWh en 2035, puis de 700 TWh en 2040, condition sine qua non pour préserver nos objectifs climatiques.

f. Quel impact du développement des EnRi sur les investissements réseaux ?

Tant dans les présentations de RTE que dans celles d’ENEDIS nous ne trouvons aucune information sur les investissements sur le réseau spécifiquement exigés par le développement des ENRI. Le retour sur les investissements passés nous porte à estimer que leurs investissements hors ENRi seront respectivement de 1,4 et 1,5 mds € par an pour RTE et ENEDIS, soit 46 mds € d’ici 2040.  Le total des investissements affectés aux seules ENRi représenterait ainsi 150 mds € jusqu’à 2040 inclus, à financer par une consommation qui devrait croître. Ces valeurs sont bien sûr contestables, mais le manque d’analyse sectorielle des évaluations de RTE et ENEDIS nous oblige à cette approche intuitive et conservative.

g. Quel impact sur le TURPE ?

PNC-France prend en compte pour le calcul la temporalité des consommations comme des investissements avec une durée d’exploitation et d’amortissement d’une trentaine d’années[4]. Il devient alors possible de faire un calcul approximatif de l’impact financier annuel résultant de la croissance du parc d’ENRi. Le tableau présente l’hypothèse d’un remboursement constant sur 30 ans avec un taux d’intérêt de 5 % (taux RTE agréé par la CRE), et une évolution des investissements et des productions assez régulières.

Le calcul d’amortissement ci-dessous, pour l’ensemble RTE et ENEDIS, ne couvre que les investissements postérieurs à 2024 et présente les charges annuelles par MWh consommé en France résultant des seuls objectifs ENRi 2025/2040 . Elles sont à affecter au TURPE.

On constate une augmentation progressive de l’impact sur le TURPE de 0,8 à 13,8 €/MWh de 2025 à 2035.  Mais il ne faut pas oublier qu’avec un amortissement sur 30 ans cet accroissement se poursuit jusqu’en 2055, augmenté éventuellement de l’impact d’une poursuite du développement et du renouvellement des ENRi après 2040.

L’impact de l’investissement sur les réseaux sera donc rapidement très sensible et très durable sur un TURPE dont la CRE présente le mode de calcul, mais sans jamais en donner la valeur. Et il faudra y ajouter l’augmentation prévisible des coûts d’exploitation et de gestion liés à l’extrême complexité apportée par le nouveau mix électrique (quelques €/MWh?).

Une réduction à 20 ans de la durée d’amortissement augmente le prix par MWh de 25 % environ et une réduction du taux à 3 % le réduit de 23% environ.

  1. Mais d’autres externalités vont significativement contribuer à l’augmentation du TURPE

En effet l’introduction des ENRi va entraîner d’autres dépenses pour les consommateurs qui, dans l’état actuel de la réglementation, devraient être incluses dans le TURPE, et que nous n’avons pu évaluer par manque d’informations (RTE et ENEDIS n’ont pas encore été en mesure de las présenter).

  • Le coût du stockage sur batteries : écrêter la surproduction scolaire en la stockant impliquerait, pour une puissance installée de 65 à 90 GWe au moins 20 GWe de batteries stockant 4 h de production, soit un investissement de 21 milliards (1050 €/kW selon RTE pour des batteries 4h en 2035)
  • La rétribution des capacités pilotables, dont la pilotabilité devra être reconnue financièrement[5].
  • Le financement des réserves de capacité, sachant que celles-ci seront considérables quand il y aura 1000 GWe d’ENRi en Europe, vers 2035/2040, après l’arrêt des centrales à charbon et fioul.
  • La rétribution des flexibilités industrielles, comme dans le tertiaire et l’habitat,

Par ailleurs les consommateurs auront à faire face :

  • À l’augmentation des contrats domestiques pour inclure la recharge des VE (nécessitant des abonnements en monophasé 7,4 kW ou en triphasé 11 à 22 kW), avec 18 millions de VE connectés (en fonction du ratio entre VE et hybrides rechargeables) : c’est une puissance appelable bien supérieure à celle des contrats de 3 à 12 kW habituels.
  • À l’augmentation du coût d’usage des réseaux, pour ceux qui n’ont pas la possibilité d’installer des panneaux solaires ou des éoliennes, car il est facturé en fonction de la consommation (et non de la puissance appelée, alors que c’est le paramètre dimensionnant) : cette charge de réseau sera par contre réduite pour ceux qui bénéficieront d’une production autoconsommée, socialement plus aisés en général.

En ce qui concerne le réseau européen (pour mémoire environ 300 mds € qui ne sont pas pris en compte dans le calcul ci-dessus), reste à déterminer la part qui pourrait incomber à la France.

  1. Est-ce le bon équilibre bénéfice-coût ? Aucune étude d’impact ne le prouve ?

Il faut mettre en regard des investissements sur les réseaux les coûts et les investissements additionnels induits par l’installation supplémentaire d’ENRi de 2025 à 2040 en tenant compte des fourchettes de puissance envisagées et des estimations récentes des investissements par GWe installé. Le tableau ci-dessous conduit à une estimation de l’ordre de 90 milliards d’€ d’investissement pour installer ces EnRi entre 2025 et 2035, sans compter les renouvellements d’équipements anciens au bout de 20/25 ans.

Faute de données, la totalité du solaire est calculée comme solaire au sol, ce qui est très conservatif.

Ces capacités nouvelles pourraient produire 170 TWh par an en 2035, qui s’ajouteraient au potentiel actuel de 540 TWh (avec nucléaire à 400 TWh), soit un total de 710 TWh mais avec des fluctuations de production considérables et très rapides. L’expérience actuelle montre que la France se trouverait en surcapacité quand les prix sur le marché européen sont faibles (simultanéité confirmée des fortes productions d’ENRi en Europe), et en sous capacité en l’absence de vent et de soleil, avec des prix d’importation très élevés. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’impact de l’éolien marin (flottant en particulier), sur le prix de commercialisation de l’électricité (voir les Appels d’Offres récents et les demandes de réévaluations des anciens contrats), ainsi que sur le dimensionnement des flexibilités, compte tenu de la violence de leurs fluctuations de puissance.

Dans les propositions de Belfort, comme dans la version préliminaire du SDES et de la PPE, et comme dans le bilan prévisionnel de RTE, l’interdiction de construire de nouvelles centrales à gaz de pointe interdit une optimisation du mix, avec un objectif de coût minimal de la tonne de CO2 évitée sur l’ensemble des secteurs de consommation (il manque déjà une douzaine de GWe de puissance pilotable après avoir arrêté nos centrales à charbon et au fioul et les réacteurs de Fessenheim). L’investissement correspondant serait d’environ 1 milliard € par GWe et ces centrales à gaz pourraient être implantées aux nœuds de distribution proche de région déficitaires en capacités installées, réduisant d’autant les investissements sur les réseaux, les stockages et les flexibilités. Une quinzaine de GWe gaz (CCG et TAC), fonctionnant moins de 1000 h par an aurait un impact CO2 faible et éviterait des importations qui, d’ici 2035, seront largement issues de centrales à gaz, voire à charbon, avec des prix spéculatifs.

Or il sera beaucoup plus intéressant d’importer des productions ENRi bon marché quand elles sont abondantes simultanément partout en Europe, des pays comme l’Allemagne étant contraints de s’équiper massivement, et d’être présent sur le marché rémunérateur des pointes de consommation quand les productions ENRi sont faibles. C’est ce qu’ont compris les Allemands, qui ont toujours gardé des marges de capacités pilotables, contrairement à la France, et ont décidé d’investir 10 à 20 GWe supplémentaires de centrales à gaz, opportunément présentées comme compatibles avec le biogaz, voire l’hydrogène. C’est ce que devrait faire la France en reconstituant un mix pilotable robuste.

  1. Quelles pourraient être les alternatives, pour le plus grand bénéfice des consommateurs ? 

PNC-France ne dispose pas des programmes d’investissement détaillés de RTE et d’ENEDIS, qui reposent nécessairement sur une connaissance géographique très fine du réseau. Seule une approche intuitive nous est possible.

Réduire de moitié le complément d’ENRi qu’il est prévu d’installer d’ici 2040 en France, voire des deux tiers, réduirait très sensiblement les investissements en moyens de production et réseaux associés, ainsi que leurs coûts d’exploitations. Le tableau ci-dessous propose, à titre d’exemple pédagogique, un programme d’ENRi qui supprimerait le coûteux éolien flottant et limiterait l’investissement en ENRi à 44 milliards environ, soit moitié moins que ce que semble prévoir aujourd’hui l’exécutif.

L’impact sur les investissements sur les réseaux de RTE et ENEDIS, sous réserve d’une nouvelle optimisation de la répartition territoriale pourrait être de 30 à 40 % des 150 mds€ que nous avons imputé aux ENRi (voir §3f ci-dessus), soit une réduction des investissements réseaux de l’ordre de 50 à 60 milliards[6]. En cette période de disette budgétaire, ce n’est évidemment pas négligeable.

Cette alternative est d’autant plus justifiée qu’à partir de 2040 un programme nucléaire plus dynamique avec deux EPR par an et quelques SMR « chaleur » éviterait de plus un renouvellement massif des ENRi obsolètes. Un calcul complet devrait aussi intégrer une réduction de la considérable croissance des flexibilités proposée (mais non chiffrées par RTE), et un bilan financier des exportations et importations résultant de la volatilité des prix européens provoquée par l’intermittence (qui pourrait se chiffrer entre 2 et 4 milliards €/an). Au total le gain par rapport au scénario de référence pourrait s’élever à 120 à 150 milliards[7], réduits d’une quinzaine de milliards d’investissements en centrales à gaz.

L’impact sur l’empreinte GES de la France serait insignifiant car les émissions seraient comparables, que l’électricité soit produite avec des centrales à gaz en France ou chez nos voisins puis importée.

L’apport supplémentaire d’énergie des ENRi serait d’environ 90 TWh auxquels, à partir de 2035, s’ajoutera la production du nouveau nucléaire EPR2, qui croîtra progressivement d’une dizaine à une soixantaine de TWh. Cette production ne sera pas encore suffisante en quantité (pour une consommation envisagée de 700 TWh à l’horizon 2040), mais le programme sera réajusté tous les 5 ans en fonction de la réalité de l’évolution de la consommation, la puissance pilotable ayant déjà été très sensiblement renforcée. La pilotabilité de l’outil de production apportera en tout état de cause une meilleure garantie de disponibilité permettant de passer les pointes de consommation.

  1. Conclusion : il est crucial de disposer, en urgence, d’études prospectives sur les prix de l’électricité

L’objet de cette analyse n’est pas de proposer un nouveau scénario, que PNC-France n’est pas en mesure d’élaborer, mais de montrer des pistes de réflexions destinées à mettre en perspective les impacts des scénarios proposés sur le prix futur de l’électricité, impacts que ni RTE et ENEDIS dans l’ensemble de leurs contributions, ni la DGEC dans les versions 2023 de la SFEC et de la PPE n’ont évalués.

Deux priorités sont proposées par PNC-France :

  • Décarboner la France au meilleur coût : : il n’est pas prioritaire de décarboner notre électricité, qui l’est déjà, en surinvestissant massivement dans des ENRi dont l’essentiel des équipements est importé de pays très carbonés. Il faut au contraire se focaliser sur les autres secteurs, avec un mix souverain et robuste.
  • Restaurer la résilience de notre mix électrique et le protéger d’invasion de productions résultant du surdimensionnement des parc ENRi voisins : la capacité pilotable de notre mix doit être rétablie, et le dimensionnement comme les règles d’utilisation des interconnexions européennes doivent être adaptés à une saine protection des moyens pilotables, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Aussi imprécise soit-elle, notre réflexion montre que l’impact économique des investissements envisagés sera considérable, tant dans les moyens de production que dans les réseaux et le pilotage de ceux-ci. Il est absolument nécessaire, avant de finaliser la PPE et la SFEC, qu’une étude d’impact approfondie soit réalisée pour évaluer les conséquences prévisibles de ces investissements sur le prix de l’électricité fournie aux consommateurs privés ou industriels. À défaut, toute décision sera un saut dans l’inconnu, aux conséquences économiques et sociales potentiellement gravissimes.

[1] RTE vient de commander trois plateformes en mer pour transférer 1,25 GWe depuis des sites posés, pour un investissement de 4,5 milliards € soit 3,6 milliards par GWe. On peut penser que le raccordement des parcs flottants sera très supérieur (5 milliards par GWe ?). Il inclut une technologie courant continu et les stations de conversion à terre.

[2] Les recettes provenant pour 2/3 de l’utilisation du réseau (TURPE) et pour 1/3 des interconnexions. Le résultat net de RTE est de 417 M€ et son endettement de 10 mds€

[3] RTE a en cours l’analyse de 4 autres interconnexions mais semble réticente car d’un intérêt mineur pour la France. Mais la pression européenne sera forte.

[4] Le SDDR est révisé tous les 5 ans, ce qui conduit à une révision des investissements à engager : il est donc peu raisonnable de faire des estimations au-delà de 2030

[5] Inclut dans le prix de vente, ou par un mécanisme de capacité, ou en rétribuant les effacements pour équilibrer le réseau.

[6] Il pourrait y avoir une économie de 5 à 10 milliards € pour les liaisons avec les parcs flottant (sur la base de la récente commande de RTE pour l’éolien terrestre).

[7] Soit l’équivalent du coût de construction de 11 à 13 EPR2, déjà prévus pour fonctionner 80 ans contre 20 à 25 ans pour les EnRi.

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