Les petits réacteurs nucléaires modulaires

20 / 10 / 2021

Les petits réacteurs nucléaires modulaires

Oct 20, 2021 | Actualités

Les SMR, petits réacteurs nucléaires modulaires

 

AVIS DE PNC-FRANCE  : l’avis de PNC-France par Jean-Pierre PERVÈS (groupe experts PNC France)

En 2019, environ 64 % de l’électricité mondiale provient encore de centrales à combustibles fossiles, à charbon pour l’essentiel (37 %). Une part significative de ces moyens de production sont dans des pays peu ou pas formés au nucléaire, ou ayant des réseaux de taille modeste et non interconnectés. Or la stabilité nécessaire d’un réseau électrique implique une contribution suffisante de sources pilotables, le complément provenant autant que possible d’énergies renouvelables, majoritairement intermittentes

Il est donc naturel pour ces pays, soucieux de limiter leurs émissions de CO2, d’avoir accès, en remplacement de leurs outils de production d’électricité utilisant des combustibles fossiles, à des moyens décarbonés pilotables. Les petits réacteurs modulaires, ou SMR, peuvent répondre à ce besoin.

Un autre segment de marché pourrait également s’ouvrir pour ces réacteurs de petite taille. La nécessaire décarbonation des pays peut justifier l’appel à des SMR pour la production d’hydrogène, le dessalement de l’eau de mer, la production de chaleur, etc.

Le défi est cependant majeur car on demandera à la modularité et à la simplification des systèmes de compenser en coûts l’avantage apporté par l’effet de taille aux réacteurs de puissance actuels. Il faudrait au moins décupler le nombre d’installations pour une même puissance.

Le projet français de SMR NUWARD, a été porté par quatre acteurs majeurs (EDF , Technicatome, Naval Group et le CEA), et repose sur un potentiel industriel indiscutable et sur les connaissances acquises sur notre parc nucléaire et sur les moteurs marins. Il vise un compromis intéressant, avec 2 réacteurs couplés et une puissance totale de 340 MWe, soit 1/5 d’un réacteur moderne actuel comme l’EPR. Il s’appuiera sur une industrie nationale au meilleur niveau mondial de production du combustible nucléaire et de gestion des combustibles usés et des déchets, opérationnelle depuis des décennies. Ce projet répond ainsi également à la demande du Président Macron d’une gestion performante des déchets.

D’autres acteurs pourraient-ils intervenir en France ? Avec quelles technologies (thorium, transmutation, sels fondus) ? C’est à suivre, mais les délais de mise en œuvre seraient notablement plus longs.

L’acceptabilité de ces petits réacteurs, qui devraient être fort nombreux, sera-t-elle meilleure ? C’est ce qu’il reste à démontrer.

Mais le monde a des besoins d’électricité pilotable et de chaleur décarbonées, qui justifient de tels projets. La France, qui doit enfin décider de renoncer à l’objectif inconséquent d’arrêter 12 réacteurs d’ici 2035 et qui doit, en urgence, lancer la construction d’une première série d’EPR, y a tout sa place, tout en en préparant une 4ème génération durable.

 

ILLUSTRATION :  Nicolas WAECKEL

 

TEXTE : Les SMR, petits réacteurs nucléaires modulaires [1]

Emilio RAIMONDO, Jean-Pierre PERVÈS

 

Le Président de la République, Emanuel Macron, a annoncé le 12 octobre 2021 l’engagement d’un programme nucléaire, dans le cadre du plan de relance, dont l’objectif premier est de faire émerger en France d’ici 2030 des réacteurs nucléaires de petite taille innovants, avec une meilleure gestion des déchets. Ce sont les SMR, « Small Modular Reactors ». Il suit en cela une tendance mondiale. Pour mémoire, la France avait développé des projets semblables au début des années 80, tant pour le chauffage urbain que pour la production d’électricité, sans succès commerciaux[2].

On ne souligne pas assez que de très nombreux réacteurs de faible puissance sont déjà opérationnels dans le monde ; en effet, les sous-marins et navires à propulsion nucléaire en sont équipés, ce qui représente un nombre considérable, d’environ 600 réacteurs. Le retour d’expérience sur ce type de réacteur est donc très important, en France en particulier, même si la gamme de puissance est plus faible que celle généralement envisagée pour les SMR.

Deux réacteurs de puissance modeste, 34 MW chacun, sont en exploitation sur une barge en Sibérie, mais plusieurs dizaines de projets, plus ou moins novateurs, ont été lancé dans le monde, un seul ayant obtenu sa licence, le projet NuScale aux USA, avec des modules de 77 MWe regroupés par 6 ou 12.

  1. Des SMR pourquoi et pour quels marchés

De très nombreuses centrales de puissance moyenne brulant lignite, charbon, fioul ou gaz sont encore en activité et produisent environ les deux-tiers de l’électricité mondiale, particulièrement dans des pays ayant très peu ou pas de culture nucléaire et des réseaux de transport de l’électricité de tailles modestes ou encore dans des zones non interconnectées. Or l’alimentation électrique exige une régularité et une flexibilité de production que les énergies éolienne et solaire ne peuvent apporter. L’urgence climatique va conduire à remplacer massivement ces centrales fossiles dans les prochaines décennies et le nucléaire présente les qualités requises. Toutefois il lui faut s’adapter à un marché nouveau, à géométrie variable.

Des idées fortes s’adressent aux SMR :

  • De tailles réduites ils devraient être adaptés à des réseaux électriques, soit trop petits pour les réacteurs commerciaux modernes de 1200 à 1700 MWe, soit desservant des populations peu nombreuses sur de grandes surfaces. La stabilité d’un réseau ne peut en effet être assurée qu’avec un nombre suffisant de centrales pilotables, afin de suivre la demande, et le réseau doit être capable de résister à la défaillance du moyen de production le plus puissant sans interruption de la fourniture. Une préoccupation qui incite à disposer de plusieurs unités de production de petite taille.
  • Ils pourraient être à sûreté intrinsèque, reposant sur des moyens de sauvegarde purement ou largement passifs, c’est-à-dire ne nécessitant pas ou peu d’énergie en cas d’incident. Dans la réalité les Autorités de Sûreté exigent de tous les nouveaux réacteurs des performances identiques à celle de réacteurs de troisième génération en termes de sûreté, que ce soit par des moyens passifs ou des moyens robustes et redondants. L’inconvénient d’une passivité absolue est de conduire à des réacteurs de très faible puissance, inadaptés à des besoins d’électricité déjà très importants et en forte croissance dans de nombreux pays, mais ce défaut est moins prégnant concernant la production de chaleur.
  • Leur relative simplicité et le montage en usine des composants les plus sensibles les rendent plus faciles à construire et à exploiter dans des pays devant s’initier au nucléaire.
  • La suppression de réalisations délicates sur site, les soudures en particulier mais aussi les montages de composants, réduit d’autant la durée du chantier, ce qui réduit les coûts financiers.
  • Ils pourraient, si leur taille modeste facilitait leur acceptabilité sociale, être implantés à proximité d’agglomérations et alimenter des chauffages urbains.

Le défi reste bien sûr d’obtenir des coûts d’investissement acceptables alors qu’on multiplie par 5 à 10 le nombre de réacteurs à construire pour une même puissance.

Sur un plan politique, les conditions d’implantation et d’exploitation de ces unités dans des pays tiers devront être étudiées avec attention. Quelles que soient les garanties de sûreté apportées par les SMR, l’exploitant doit disposer d’une compétence et d’une réglementation nationale qui sera souvent à créer dans les pays non nucléarisés. Le risque de prolifération et les conditions de fourniture et d’utilisation du combustible feront l’objet d’une attention particulière.

  1. Des SMR en France ?

La France est un pays ayant un réseau électrique dense véhiculant de très fortes puissances. Le maintien de sa production nucléaire dans les prochaines décennies est prévu par EDF, seul exploitant nucléaire, avec l’EPR2, réacteur de 1700 MW implantable sur des sites existants et qui bénéficient déjà d’un accès à des réseaux haute tension adaptés. C’est pourquoi, concernant les SMR, l’objectif premier du pays pourrait être la construction à titre de démonstration, dans un délai court, d’une paire de réacteurs. Notre pays, pour des objectifs à l’exportation, bénéficie d’avantages évidents car il bénéficie d’un réseau industriel complet incluant le cycle du combustible, et il peut offrir à ses clients les formations et l’appui technique nécessaires. C’est donc bien à l’exportation qu’est destiné le développement des SMR, et il est indispensable de ne pas aggraver notre retard les applications, électricité, chaleur, dessalement, étant variées.

  1. Un projet français NUWARD (Nuclear foreward)

Son étude ayant été amorcée en 2012, NUWARD a fait l’objet d’une coopération entre quatre acteurs majeurs de la filière nucléaire française : EDF, le CEA, Technicatome et Naval Group. Leur complémentarité a été très forte, avec notamment l’apport déterminant de Technicatome et de Naval Group dans le domaine de la modularité, compte tenu de leur expérience dans la construction navale. L’accord de partenariat actuel devrait évoluer vers une structure juridique commune, dont le contour reste à définir, avec éventuellement une participation de l’État.

  • Une nouvelle architecture

La planche fig. 1montre la différence entre, à gauche, l’architecture du circuit primaire de nos REP de forte puissance (réacteurs à eau pressurisée), avec la cuve (et le cœur du réacteur), les impressionnants générateurs de vapeur, les pompes primaires, les mécanismes de contrôle du réacteur et le pressuriseur.

  • Le principe d’une centrale de 340 MWe avec deux réacteurs intégrés

Pour bénéficier au maximum des avantages résultant de la faible puissance, tout en limitant le surcoût lié à une multiplication des moyens de production, le concept NUWARD propose d’intégrer dans une installation unique deux réacteurs de 170 MWe chacun, partageant ainsi une même enceinte de protection en béton et de nombreux équipements périphériques, dont en particulier la piscine de stockage des combustibles usés. Cette puissance de 340 MWe est adaptée au remplacement des nombreuses centrales actuelles, à charbon en particulier. Le choix de deux unités de 170 MWe, chaque réacteur étant associé à un turbogénérateur, offre une souplesse de production particulièrement intéressante dans des réseaux de faible capacité, la puissance pouvant être finement adaptée au besoin de 0 à 340 MW.

La cuve (environ 13,5 m de haut pour 4,5m de diamètre), héberge l’ensemble du circuit primaire et a une taille voisine de la cuve des réacteurs de 900 MWe actuels, ce qui montre son niveau de compacité. Elle peut être construite et transportée avec nos moyens industriels actuels. Sur le schéma de la cuve on distingue l’axe horizontal des pompes (ici au nombre de 6), le pressuriseur en partie supérieure sous le couvercle boulonné, et les différents piquages pour l’eau alimentaire et les sorties vapeur vers les turbines.

Chaque réacteur est inséré dans une enceinte de confinement (figure 2) en acier de 15/16m de haut pour 15m de diamètre environ, qui fait office de troisième barrière de confinement[3]. Ces enceintes sont, en fonctionnement, immergées dans deux piscines : un volume d’eau important contribue ainsi au maintien en température des enceintes en toutes circonstances et rends possible le déchargement sous eau du combustible, comme dans les réacteurs actuels.

Le bâtiment, contenant les deux réacteurs et ses annexes, dont la piscine de stockage des combustibles, est semi enterré (Fig. 3)) et pourrait être recouvert par un merlon de terre de protection contre les risques externes. Cette conception est incrémentale, et il est prévu de pouvoir intégrer plusieurs paires de réacteurs pour accompagner les besoins d’un pays ou s’adapter à ses capacités de financement.

  • La modularité et la préfabrication en usine

Il est clair que le remplacement des réacteurs actuels par des unités 10 fois moins puissantes aura un coût. Le moyen de contre balancer cet inconvénient repose sur la modularité, la réalisation en série de nombreux équipements de taille plus modeste et la préfabrication en usine, avec un objectif de réduction de la durée de montage sur site d’un facteur au moins. La durée de construction sur site pourrait ainsi être ramenée à 3 ans entre le premier béton et la Mise en service industrielle.

A titre d’exemple la cuve primaire intègre des équipements de série, et les soudures et les montages sont faits en usine, la très haute garantie de qualité requise étant atteinte avec une meilleure productivité en atelier et moins de contrôles, très chronophages, sur site. L’ensemble est transporté en un seul colis sur le site pour mise en place dans l’enceinte de confinement (elle-même transportée en plusieurs colis et assemblée sur place dans le génie civil). Les raccordements en mode « plug and play » réduisent considérablement les durées de montage des circuits principaux sur site. La taille des colis est adaptée à des transports fluviaux et routiers dans des conteneurs standardisés.

  • Les phases de développement du NUWARD

L’étude de faisabilité a débuté à rythme réduit en 2012 et le projet est aujourd’hui dans sa phase de définition, qui était prévue se terminer en 2022. La décision du Président Macron implique une forte accélération du programme de développement, qui reste à évaluer, avec une phase d’avant-projet détaillé ( avant 2025 ?), et la présentation d’un dossier d’options de sûreté. Des échanges avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ont déjà eu lieu mais devraient s’accélérer afin de faire émerger le projet « d’ici 2030 » selon le Président. L’accélération des études détaillées et des chiffrages, pour respecter l’objectif, devrait s’accompagner d’une accélération parallèle des procédures administratives et réglementaires, particulièrement lourdes dans notre pays, si nous voulons tenir le calendrier.

  • Des innovations à qualifier

Un tel projet implique, malgré l’appel à une technologie des REP déjà très mature, un certain nombre d’innovations, certaines déjà en cours de qualification. Avec cette architecture simplifiée des équipements et des circuits, nécessaires pour assurer la robustesse de l’installation dans les REP de forte puissance, peuvent être supprimés ou simplifiés. Mais ils réclament des justifications et des qualifications rigoureuses. Par exemple :

  • Un système simplifié de noyage du cœur en cas de perte du réfrigérant principal, limitée ici à la rupture (très hypothétique) d’une tuyauterie de très faible diamètre.
  • L’immersion des mécanismes de commande des grappes dans la cuve, qui requiert également des liaisons traversant la cuve (électricité et signalétique)
  • La cinétique de la circulation de l’eau dans la cuve pour maintenir sur la durée la température de la cuve en cas de dégradation du cœur.
  • Une gestion du cœur sans bore, qui réduit d’autant la production d’effluents et de tritium.
  • Des générateurs de vapeur, interne à la cuve et qui doivent donc être très compacts (par exemple à plaques).
  • Une enceinte de confinement métallique immergée dans une piscine.

 

Si la qualification de ces innovations nécessite de nombreux calculs et essais, il faut noter qu’avec cette conception on pourrait dégager plus de marge d’exploitation. Le combustible, au standard 17X17 actuel à moins de 5% d’enrichissement, est strictement compatible avec la production d’uranium enrichi de notre usine de séparation isotopique de Pierrelatte, les installations de fabrication de combustibles de Romans sur Isère, et avec l’usine de retraitement des combustibles irradiés de La Hague.

  • Une meilleure gestion des déchets

Ce point a été souligné par le président Macron et doit mis en regard avec la situation actuelle : la plupart des pays faisant appel au nucléaire ne recyclent pas les matières contenues dans les combustibles usés, l’uranium résiduel appauvri et, en particulier, le plutonium. Celui-ci, dont le niveau de radiotoxicité est prépondérant dans les combustibles usés, est donc traité comme déchet par ces pays.

Or la France est en pointe dans ce domaine, grâce aux usines d’ORANO à la Hague, qui récupèrent l’uranium de retraitement, combustible du futur, et le plutonium, dont l’apport énergétique est égal à celui de l’uranium, qui est recyclé. Le projet NUWARD, faisant appel au même combustible que les réacteurs de notre parc actuel va donc bénéficier de ce recyclage, contrairement à la plupart des autres projets. Les projets de SMR très innovants, faisant appel par exemple à des réacteurs à sel fondu, surgénérateurs ou adoptant le cycle thorium, restent encore hypothétiques car complexes et nécessitant des études de qualification et de certification très conséquentes : ils sont encore du ressort du capital risque.

 

Conclusion

Les besoins en électricité dans le monde seront fortement croissants : l’Agence internationale de l’énergie estime que le vecteur électrique pourrait apporter 80 % de l’énergie mondiale en 2100, ce qui est un gigantesque défi.

Les SMR, qui produiront une électricité décarbonée et pilotable, peuvent fournir aux pays encore très dépendants des combustibles fossiles la base de leur production d’électricité, les énergies renouvelables et les stockages venant en complément en fonction de leurs niveaux de développement. Ils seront particulièrement adaptés à des réseaux très isolés ou véhiculant des puissances faibles, mais également à la production de chaleur, pour le chauffage urbain ou l’industrie.

Y aura-t-il en France d’autres projets, très différents, portés par d’autres développeurs ? Si oui ils auront des délais d’études, de qualification et de réalisation beaucoup plus longs.

La France dispose des moyens technologiques nécessaires pour réussir à temps le développement d’un SMR, à condition de bénéficier d’une continuité de l’action publique, tant pour les réacteurs du parc actuel et de la génération EPR, que pour préparer la pérennité du retraitement et l’engagement du stockage géologique des déchets dans CIGEO : c’est toute cette logique industrielle qui doit être maintenue, ou plutôt relancée !

 

 

[1] Nous remercions la SFEN, Société Française d’Energie Nucléaire, d’où provient l’essentiel des informations, via sa revue, la RGN, et les conférences qu’elle organise : https://www.sfen.org/

[2] Il s’agissait des réacteurs THERMOS pour le chauffage urbain et du réacteur électrogène de 300 MWe NP300

[3] La première est la gaine des combustibles et la seconde l’ensemble du circuit primaire dans sa cuve

 

Lire l’article d’Emilio RAIMONDO et Jean-Pierre PERVÈS au format PDF: 

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