Le nucléaire en Ukraine

25 / 03 / 2022

Centrales nucléaires en Ukraine : quel risque ?

Dominique GRENECHE et Jean-Pierre Pervès

Experts PNC-France

 

La menace que pourrait constituer un accident majeur survenant dans une centrale nucléaire située en Ukraine, compte tenu des combats qui s’y déroulent actuellement, est-elle réelle ? Cet article est destiné à fournir des éléments de réponse factuels, montrant que ce risque est en réalité très faible sans être pour autant totalement nul (par définition, un risque n’est jamais nul).

Rappelons d’abord que la part de la production électrique d’origine nucléaire est majoritaire en Ukraine avec une proportion de plus de la moitié (52 % en 2020, les fossiles en produisant 38 %, pour les trois quarts avec du charbon). Le parc nucléaire opérationnel comprend 15 réacteurs repartis sur 4 sites (dont le désormais célèbre site de Zaporojie, le plus grand, qui comporte 6 réacteurs nucléaires de 1000 MWe). Ils ont été mis en service de 1977 à 1995.

Ce sont tous des réacteurs de type russe dits « VVER » qui sont de conception générale très proche de celle de nos réacteurs à eau pressurisée (REP) avec notamment, pour 13 d’entre eux, une enceinte de confinement coiffant l’ensemble de la portion proprement nucléaire du réacteur. Cette  enceinte en béton armé très épais (plus d’un mètre) est capable de résister à l’impact d’un  gros missile ou même au choc provoqué par la chute d’un avion militaire la percutant à une vitesse de près de 800 km/h. De plus, la cuve contenant le cœur du réacteur est elle-même enfermée dans un « puits de cuve » en béton d’une épaisseur d’environ 2 mètres et elle est surmontée d’une dalle antimissile (amovible) destinée, en temps normal, à protéger la cuve d’une « agression »  interne telle que la chute d’un moyen lourd de manutention (typiquement celle du pont « polaire » qui se déplace au sommet de l’enceinte de confinement). Toutes ces dispositions éliminent pratiquement le risque de dégradation directe de la cuve par un explosif même très puissant projeté depuis l’extérieur sur le bâtiment du réacteur.

Deux réacteurs de 400 MW, plus anciens, ne sont pas dans une enceinte de confinement mais la cuve est également dans une structure en béton massive. Ils sont cependant globalement plus vulnérables. Ils sont dans le Nord-Ouest du pays à Rovno.

Il reste que le maintien de l’intégrité du cœur du réacteur nécessite son refroidissement permanent car il dégage pendant très longtemps beaucoup de chaleur (du fait de sa radioactivité très intense) qu’il faut absolument pouvoir évacuer faute de quoi sa température peut augmenter jusqu’à faire fondre le cœur. Ce dégagement de chaleur est tel qu’une évacuation par air est insuffisante pendant très longtemps et qu’il faut donc nécessairement un refroidissement par circulation d’eau assurée par des pompes. Cette eau doit d’ailleurs être elle-même refroidie par des « sources froides » externes qui dans le cas des réacteurs nucléaires en Ukraine (tous éloignés du bord de mer) sont soit des aéroréfrigérants soit des échangeurs avec l’eau d’un fleuve (le Dniepr pour Zaporojie). Mais ces moyens sont extrêmement redondants (par exemple avec plusieurs « diesels » de secours) et diversifiés, y compris sur le plan de leur localisation géographique. Dans ces conditions il n’y a pas de scénario crédible d’agression involontaire pouvant conduire à une destruction totale et simultanée de tous ces moyens de refroidissement. Ce même constat est valable pour les piscines de refroidissement dans lesquelles sont stockés les combustibles usés, et qui génèrent également de la chaleur qu’il faut nécessairement évacuer. Mais dans ce cas le dégagement de chaleur est beaucoup moins intense, ce qui laisse au minimum plusieurs dizaines d’heures pour réagir en cas d’endommagement même complet des moyens de refroidissement (par exemple par un apport de moyens de refroidissement auxiliaires constitués simplement de tuyaux et de pompes).

Au 16 mars 2022 la situation était la suivante :

  • Fonctionnant en autonomie depuis le début de la guerre, après avoir été déconnecté du réseau russe, le réseau Ukrainien a été connecté au réseau continental européen le 16 mars 2022 en urgence.
  • La centrale de Zaporozhye est occupée par les Russes et opérée par l’exploitant ukrainien : 2 réacteurs sur 6 sont opérationnels, 2 lignes haute tension sur 4 ont été endommagées et les diésels de secours sont opérationnels.
  • 3 réacteurs sur 4 sont opérationnels à Rovno
  • 2 réacteurs sur 4 sont opérationnels à South Ukraine.
  • Et 1 réacteur sur 2 est opérationnel à Khmelnitski (et deux centrales de 1000 MW sont en construction).

Avant de conclure il convient d’évoquer rapidement le cas particulier du site de Tchernobyl, aujourd’hui occupé par les Russes. Il faut d’abord souligner qu’il N’Y A PLUS DE REACTEUR NUCLEAIRE EN FONCTIONNEMENT puisque le dernier a été arrêté définitivement le 15 décembre 2000. Le réacteur accidenté en avril 1986 est totalement isolé de l’environnement grâce  un énorme « sarcophage » en béton dans lequel il est enfermé. Ce sarcophage est lui-même abrité à l’intérieur d’un immense « arche » métallique fermée et ventilée dont le rôle est principalement de confiner les matières radioactives résiduelles et d’abriter diverses installations destinées dans le futur à décontaminer, démanteler et conditionner les matériaux radioactifs en vue d’un futur stockage définitif. Le site est occupé par l’armée russe depuis le 24 mars 2022 ainsi que sa zone d’exclusion.

Les combustibles usés des trois autres réacteurs de Tchernobyl, qui renferment la plus grande part de la radioactivité, sont toujours entreposés sur le site dans des piscines mais ne dégagent que très peu de chaleur aujourd’hui du fait de la décroissance radioactive. L’eau de ces piscines est encore légèrement refroidie mais, compte tenu de leurs volumes, une perte totale et durables des moyens de refroidissement (notamment par interruption des alimentions électriques) n’entrainerait pas d’élévation de température dépassant les 70 à 80°c, ce qui élimine tout risque de libération de radioactivité par endommagement du combustible. De multiples zones d’entreposages de déchets solides de toutes sortes sont disséminées sur le site mais ces déchets sont généralement peu dispersables (ferrailles contaminées par exemple) et de faible activité. Une explosion même violente sur l’un de ces sites ne disséminerait localement que des quantités relativement faibles de radioactivité, dans un espace limité quasi inhabité du fait de la zone d’exclusion de 30 km autour du site.     

EN CONCLUSION, seule une attaque intentionnelle ou des actions malveillantes visant à provoquer délibérément un accident nucléaire grave peut conduire à un relâchement  de quantités importantes de produits radioactifs dans l’atmosphère. Mais dans ce cas, même en supposant que Vladimir Poutine ait tous les pouvoirs, une chose est sûre : il n’a pas celui de changer le sens du vent… Et ses troupes et les populations locales qui lui seraient favorables seraient tout aussi victimes des conséquences qui en résulteraient.

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