La gestion des déchets radioactifs en France
POINT DE VUE DE PNC : Jean-Pierre PERVÈS (Groupe Experts de PNC-France)
L’avis de PNC sur la gestion des déchets radioactifs
N’avons-nous pas entendu des ministres ou des hauts responsables de l’état s’inquiéter des déchets radioactifs (également nommés déchets nucléaires) et du manque de solutions pour en protéger la population. Entre mensonges, approximations et ignorance, difficile de faire la part des choses dans les affirmations souvent colportées dans les média. Ces déchets sont régulièrement présentés comme une source de danger ingérable, dont on ne sait que faire. Cette affirmation est même devenue l’ultime argument contre le nucléaire, alors que toute activité humaine est porteuse d’impacts et que la question du devenir des déchets se pose pour de nombreuses filières.
Or trois réalités méritent d’être connues : la santé des travailleurs du nucléaire est protégée, la population n’est jamais en contact avec ces déchets et, dès les débuts de l’industrie nucléaire, des règles de gestion de plus en plus strictes, systématiquement contrôlées, ont été mises en place. Résultat : des responsabilités bien établies, celles des producteurs et, in-fine, d’une agence nationale, l’ANDRA, mais aussi le développement de technologies de conditionnement, d’entreposage, puis de stockage largement reconnues au niveau international. En définitive, la branche du nucléaire n’a jamais sous-estimé les risques que représente la radioactivité et tout a été mis en œuvre pour les évaluer, les prévenir et les réduire. Cette expérience ne pourrait-t-elle pas servir de modèle pour développer une doctrine de protection durable de l’homme et de l’environnement ? C’est ce qu’illustre la présentation de la situation actuelle par quelqu’un ayant vécu la gestion des déchets sur le terrain, Jean Fluchère.
ILLUSTRATION : Nicolas WAECKEL
TEXTE : La Gestion des déchets radioactifs en France
par Jean Fluchère[1] (Expert auprès de PNC-France)
De tous les modes de production d’électricité, le nucléaire est celui qui contribue le moins au réchauffement climatique avec l’Hydraulique[2]. C’est un fait qui commence à être connu du public, mais peu de gens savent que, si tous les déchets et émissions atmosphériques industriels et ménagers étaient traités avec le même sérieux que les déchets et émissions radioactifs, notre planète et notre atmosphère seraient bien plus propres. Nous n’aurions pas à affronter les effets de la pollution des terres, des océans et de l’atmosphère résultant de la combustion massive du charbon, du pétrole et du gaz naturel.
Essayons d’y voir clair sur ces déchets radioactifs, dits aussi déchets nucléaires, dont on entend dire, de façon erronée, qu’ils posent un problème non résolu, voire insoluble. Or les solutions mises en œuvre ou programmées pour traiter ces déchets ont fait l’objet d’évaluations scientifiques indépendantes. Elles ont été choisies à l’issue de débats démocratiques et, sont soumises à un strict contrôle. Une attention particulière est portée à la transparence et à l’information du public[3].
Une organisation, une évaluation et un contrôle structurés
En France la gestion, le traitement, ainsi que la conservation des déchets radioactifs artificiels[4] dans des « entreposages » relèvent de la responsabilité exclusive de leurs producteurs, jusqu’à ce qu’ils aient été contrôlés et acceptés par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), en vue d’un « stockage » définitif.
Dans le domaine public, la population n’est donc jamais en contact avec ces déchets dont le parcours est rigoureusement contrôlé par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), toute évolution étant soumise à son autorisation. Cette surveillance porte sur toutes les phases de leur gestion (production, conditionnement, entreposage, transport, stockage) pour lesquelles sont mis en œuvre des moyens agréés, adaptés à leurs niveaux de radioactivité et à leurs natures physiques et chimiques. Ces mesures prennent bien sûr en compte la protection de la santé des travailleurs du nucléaire (radioprotection) qui est soumise à une réglementation stricte.
Les déchets radioactifs font l’objet d’une gestion encadrée par le législateur (lois de 1991, de 2006 et 2016). Outre le contrôle par l’ASN, l’ensemble fait l’objet d’examens approfondis par l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques (OPECST), le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), une Commission nationale d’évaluation (CNE) ainsi que par la Cour des comptes.
Le Plan National de Gestion des Matières et Déchets radioactifs (PNGMDR), élaboré par le gouvernement et l’ASN, est révisé tous les 5 ans et est soumis au débat public. Ce plan se fonde sur un Inventaire national des déchets et matières radioactifs (Inventaire national) élaboré sous la responsabilité de l’ANDRA, que les producteurs de déchets sont tenus d’alimenter avec toutes les informations nécessaires (contenu radiologique détaillé, compositions physique et chimique). Ce sont des documents publics.
Une classification des déchets et des conditions de stockage extrêmement strictes
La radioactivité des matériaux disparait naturellement, contrairement à la toxicité de la plupart des matières dangereuses, et ceci d’autant plus vite que leurs demi-vies[5] (ou périodes) sont courtes : leur dangerosité s’estompe au cours du temps.
La classification d’un déchet est donc fonction de sa radioactivité et de sa demi-vie, temps nécessaire pour que la moitié des noyaux se désintègrent naturellement (tableau 1). Les personnes qui se trouveraient exposées aux rayonnements émis par ces substances sont protégées par une gestion adaptée à l’intensité des émissions et à leur pouvoir de dispersion et de pénétration.
** : Les déchets HA-VL incluent le verre issu du recyclage des combustibles usés et les combustibles usés non retraités.
*** : les demi-vies sont très variables mais la radioactivité est comparable à celle de la radioactivité naturelle
Tableau 1 : classification des déchets en fonction de leurs demi-vies
Les déchets sont classés en 5 grandes catégories en fonction de leur dangerosité et de leur durée de vie[6] (Classification des déchets).
- Les déchets de très faible activité radioactive (TFA) et de faible et moyenne radioactivité à demi-vie courte (FMA-VC) représentent 91 % du volume total. Ils sont stockés définitivement dans deux centres de stockage gérés par l’ANDRA, le Centre Industriel de Regroupement, d’Entreposage et de Stockage (CIRES) à Morvilliers et le Centre de stockage de l’Aube (CSA), à Soulaines-Dhuys. Ces sites peuvent être visités.
- Les déchets de moyenne et haute activité à demi-vie longue (MA-VL et HA-VL), les plus dangereux, représentent 3 % du volume mais contiennent 99,8 % de la radioactivité de l’ensemble des déchets. Le principe d’un « stockage géologique », c’est-à-dire à grande profondeur dans une formation géologique stable a été approuvé par l’ASN, acté par le Parlement et inscrit dans la loi[7]. La demande d’autorisation de construction du centre de stockage CIGEO, à la limite des départements de la Meuse et de la Haute Marne, devrait être déposée en 2021. Les conditions de stockage et la robustesse de ce milieu géologique ont fait l’objet de 25 ans d’études par l’ANDRA, et d’essais approfondis dans le laboratoire de recherche souterrain de Bures (Centre de Meuse/Haute-Marne).
- Les déchets de faible activité à demi-vie longue (FA-VL), qui représentent 6 % du volume mais ne contiennent que 0,14 % de la radioactivité, restent aujourd’hui entreposés dans les installations d’entreposage de leurs producteurs. Ils devraient être ultérieurement stockés dans une installation dédiée en subsurface, c’est à dire à faible profondeur, dont les caractéristiques et la localisation restent à définir. Ils présentent en effet un risque très modéré, et la priorité a été donnée à CIGEO.
Que représentent le volume des déchets et le cout de leur gestion en France ?
Le volume de l’ensemble des déchets radioactifs est faible au regard des volumes de déchets générés par les autres activités humaines, ce qui permet de les garder dans des espaces très restreints, clos et surveillés avant fermeture définitive des stockages.
– Le nucléaire produit en France environ 2 kg de déchets radioactifs par habitant et par an[8], dont quelques grammes seulement de déchets à haute activité et vie longue (HA-VL) qui cumulent à eux seuls environ 95 % de la radioactivité globale. À titre de comparaison 360 kg de de déchets ménagers et 2 500 kg de déchets industriels sont annuellement produits en moyenne par habitant et par an. Bien sûr il ne faut pas oublier l’émission de 315 millions de tonnes de CO2, puissant gaz à effet de serre, soit 4 700 kg par habitant et par an.
– L’ANDRA, avait répertorié « 1 640 000 m3 de déchets radioactifs fin 2018, dans l’hexagone », dont 90 % étaient de très faible ou de faible et moyenne activité à vie courte (TFA et FMA-VC).
– Le coût de gestion des déchets représente environ 5 % du coût total de l’électricité produite et il est répercuté dans le prix du kWh. Un fond de financement des charges de démantèlement des installations nucléaires et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs (Fond de financement) est opérationnel et contrôlé par une Commission nationale d’évaluation CNEF[9].
Comment les déchets sont-ils stockés et surveillés ?
L’ANDRA n’accepte dans ses stockages que des colis de déchets conditionnés agréés, dont elle connait les caractéristiques et a pu vérifier qu’ils répondent aux exigences de sûreté et aux prescriptions réglementaires des stockages. En outre, elle exerce une surveillance chez les producteurs pour s’assurer de la bonne mise en œuvre des techniques de conditionnement et de caractérisation des déchets sur lesquelles elle a donné son agrément.
Les modalités de stockage sont adaptées selon l’appartenance des déchets à la classification :
- Les déchets TFA sont livrés au CIRES dans des caissons métalliques ou dans des grands sacs en tissu plastifié appelés « big-bags »[10]. Ils sont stockés en surface dans des alvéoles creusées à quelques mètres de profondeur dans une couche d’argile. Ces alvéoles sont fermées par une couverture composée d’une couche de sable, d’une géomembrane étanche et d’un géotextile de protection. Une couverture argileuse est ensuite placée sur les alvéoles pour assurer le confinement des déchets. Environ 30 000 m3 de déchets TFA sont traités chaque année. Le stockage sera surveillé pendant une trentaine d’année après remplissage.
- Les déchets FMAVC sont livrés au CSA, compactés, solidifiés et conditionnés dans une matrice solide (mortier, résine). Ils sont introduits dans des ouvrages en béton armé dont l’étanchéité est assurée par un revêtement imperméable, immobilisés par du béton ou du gravier,. Une couverture composée notamment d’argile assure le confinement des déchets[11]. Environ 12 000 m3 de colis de déchets sont stockés chaque année. À la fin de son exploitation, le CSA continuera d’être surveillé pendant au moins 300 ans, jusqu’à ce que sa sûreté ne nécessite plus aucune intervention humaine.
- Le Parlement a décidé par la loi du 28 Juin 2006 que les déchets HA-VL et MA-VL seront stockés en stockage géologique profond. C’est la solution qui a été validée au niveau international. La loi du 25 Juillet 2016 fixe de plus une exigence de réversibilité[12] sur 100 ans au moins, jusqu’à fermeture du site. Le centre de stockage CIGEO devrait être mis en service à l’horizon 2035, après une phase industrielle pilote. L’excavation et l’exploitation[13], à environ 500 m de profondeur dans une roche argileuse très peu perméable[14], épaisse de plus de 130 m, stable et âgée de plus de 150 millions d’années, sera progressive et pourrait durer plus d’une centaine d’années. Les déchets seront stockés, au moyen de dispositifs robotisés, dans des tunnels horizontaux appelés alvéoles, creusées au cœur de la couche d’argile[15]. Le transit de radioéléments vers la surface sera extrêmement long et ne parviendront en surface que des radioéléments à demi-vie très longue[16], générant une radioactivité de niveau inférieur à celui présente naturellement.
En conclusion
Le processus rigoureux de la gestion des déchets radioactifs et l’ensemble des installations de stockage vise à protéger les populations et l’environnement. Ils assurent le confinement des déchets suffisamment longtemps en fonction de leurs caractéristiques pour qu’ils ne puissent pas présenter de risques pour les générations futures.
[1] Expert auprès de PNC-France
[2] https://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?renouvelable.htm
[3] https://www.concertation-pngmdr.fr/thematiques/gouvernance-gestion-matieres-dechets-radioactifs
[4] Notre planète est en effet radioactive du fait de la présence de matières radioactives naturelles, qui si elles sont concentrées, sont aussi traitées comme déchets radioactifs.
[5] La demi-vie ou période d’un radioélément est le temps au bout duquel la moitié de la radioactivité disparait par décroissance naturelle : après 10 périodes le niveau de radioactivité a été divisé par 1000.
[6] Une partie, dont la quantité est a déjà fait l’objet d’une évaluation et qui est prise en compte, résultera ultérieurement du démantèlement des installations nucléaires.
[7] https://www.pnc-france.org/cigeo-stockage-geologique-des-dechets-tres-radioactifs-responsables-protegeons-les-generations-futures/ .
[8] Hors conditionnement et emballages
[9] Contrôlé par une Commission nationale
[10] https://aube.andra.fr/sites/aube/files/2017-12/380f.pdf .
[11] https://aube.andra.fr/sites/aube/files/2017-12/379g.pdf .
[12] Possibilité d’extraire des déchets déjà stockés pour contrôles ou, éventuellement, en améliorer le conditionnement par de nouvelles techniques, si le bénéfice environnemental le justifie
[13] https://www.andra.fr/cigeo/les-installations-et-le-fonctionnement-du-centre/les-installations-et-leur-localisation .
[14] Les propriétés de confinement de cette roche sont exceptionnelles, une molécule d’eau parcourt quelques centimètres en 100 000 ans.
[15] Les HA-VL seront stockés dans des alvéoles de 150 m de longueur et d’environ 70 cm de diamètre revêtues d’un chemisage métallique, et les MA-VL dans des alvéoles de quelques centaines de mètres de longueur et d’une dizaine de mètres de diamètre.
[16] Il y a souvent confusion entre vie longue et haute radioactivité : plus la demi-vie d’un radioélément est longue, moins il est radioactif.