Consommations d’eau centrales nucléaires

12 / 04 / 2023

Un coup d’épée dans l’eau du nucléaire

Informations parcellaires et désinformation

par Jean-Pierre Pervès (Groupe d’experts PNC-France)

Entre les déclarations du Président de la République dans le cadre du « Plan eau » annoncé le 30 mars et les informations transmises par les médias, le pays s’est ému des quantités considérables d’eau prélevées par les réacteurs nucléaires (comme par les autres centrales thermiques) pour assurer leur refroidissement , un chiffre qui varie de 12 à 51 % du total des prélèvements nationaux. Plus troublant encore, nos citoyens ont cru comprendre que ce prélèvement représente à lui seul plus que les prélèvements cumulés de l’industrie, de l’agriculture et de la production d’eau potable. S’ajoutent à cette « information » les craintes suscitées par le changement climatique et les sécheresses qui en résultent ; la question se pose alors: pourrons-nous encore avoir recours aux centrales nucléaires pour produire notre électricité ?

Rassurons-nous, devant une méconnaissance de la réalité du terrain et une confusion dans les expressions employées, il est nécessaire d’analyser une situation plus complexe qu’on ne peut l’imaginer au premier abord. L’analyse des données d’EDF (https://www.edp-open.org/books/edp-open-books/278-centrales-nucleaires-et-environnement-prelevements-deau-et-rejets), ainsi que celles d’EauFrance, Service Public de l’Eau (https://www.eaufrance.fr/les-rivieres ) permet une analyse scientifique de la situation: elle nous révèle que si les centrales nucléaires prélèvent une quantité substantielle d’eau à l’amont, c’est pour la restituer en quasi-totalité au cours d’eau, à l’aval. La « consommation d’eau » réelle est de ce fait infime : en moyenne sur l’année elle représente moins de 0,5 % du débit annuel des cours d’eau concernés, et seulement 2 % environ du total des prélèvements annuels du pays.

On est loin des chiffres jetés en pâture par les médias :

Dans une infographie publiée en août 2022 sur les données 2019, on apprend que 32,9 milliards de mètres cubes d’eau sont prélevés en France en une année et que le refroidissement des centrales électriques (hors barrages) concentre 48,6 % de ces prélèvements, dont 46,2 % pour les centrales nucléaires, soit 15,2 milliards de mètres cubes par an. A titre de comparaison, on prélève 2,7 milliards de mètres cubes (8,1 %) pour l’industrie, 3,2 milliards (9,7 %) pour l’irrigation, 5,6 milliards (17 %) pour l’eau potable, et autant pour l’alimentation des canaux, le tout sans faire de distinction entre prélèvements et consommations. Et « Usine nouvelle » d’enfoncer le clou en déclarant que la part du nucléaire dans la consommation d’eau est beaucoup plus importante dans les régions où sont installées les centrales : sur le bassin Rhin-Meuse, 58 % de la consommation serait dédiée à la production d’électricité, et sur le bassin Rhône-Méditerranée, elle atteindrait 46 %.

Et, le 30 mars 2023, le Président annonce lors de la présentation du «Plan eau» que la production d’électricité est responsable de 51 % des prélèvements d’eau et de 12 % de la consommation. Et la plupart des gazettes et étranges lucarnes de répéter à l’envi ces informations, en plein débat sur la sécheresse et les pénuries qui en résultent, sans même s’intéresser ,ce qui est essentiel, au débit annuel des rivières concernées.

S’informer avant de s’exprimer :

Comme toujours, il faut au préalable s’intéresser aux définitions des mots employés, à la réalité du terrain, et aux chiffres qui les accompagnent :

  • Il faut distinguer « prélèvement » (la quantité d’eau extraite à l’amont de l’installation) sur le débit de la rivière et « consommation » (part de cette eau qui n’est pas rendue au cours d’eau), et ne pas oublier la part d’eau prélevée qui est presque immédiatement « restituée». Quand la secrétaire nationale d’Europe-Écologie Les Verts affirme que « près d’un tiers de l’eau consommée en France est dédiée aux centrales nucléaires », elle n’a clairement pas saisi cette nuance, pourtant essentielle.
  • Quand on parle de prélèvements, il s’agit bien de ceux qui sont pris dans des fleuves ou rivières. Or, 18 réacteurs nucléaires sur 56, qui représentent le tiers de la puissance nucléaire installée en France, sont en bord de mer et leurs prélèvements océaniques sont insignifiants face à la masse de ceux-ci.

Il faut donc s’intéresser aux seuls réacteurs en bords de fleuves et rivières, soit 38 réacteurs sur 56. Mais ceux-ci sont refroidis soit « en circuit ouvert » (l’eau est légèrement réchauffée par la centrale, puis rejetée), soit en « circuit fermé » (la chaleur est évacuée par évaporation d’un circuit d’eau fermé dans ces gigantesques tours qui émettent une vapeur d’eau blanche, appelés réfrigérants atmosphériques).

8 réacteurs sont en circuit ouvert (Bugey 2-5, Cruas 1-4 et Saint Alban1-2 sur le Rhône), l’eau prélevée étant réchauffée (de 3 à 4 °C) avant d’être rejetée dans la rivière, l’excès de température étant résorbée en quelques kilomètres, essentiellement par évaporation. Les 32 autres réacteurs sont en circuit fermé, le prélèvement d’eau étant limité à la compensation de l’évaporation dans les réfrigérants atmosphériques et à la purge des circuits. Le tableau ci- dessous montre :

  • Qu’un réacteur réfrigéré en circuit ouvert prélève certes beaucoup plus d’eau à l’amont, mais en restitue la quasi-totalité à l’aval : la consommation d’eau est très faible, environ 1 % du débit, due principalement à l’évaporation des eaux réchauffées restituées à l’aval immédiat de la centrale, ce qui contribue à restaurer la température naturelle du cours d’eau après quelques km
  • Un circuit fermé prélève très peu d’eau, en diffuse un tiers environ dans l’atmosphère sous forme de vapeur, les 2/3 revenant à la rivière.

Tableau 1 : consommation d’eau des centrales fluviales et de leur ensemble

On constate dans les tableaux ci-dessus que le débit total maximal prélevé en amont des réacteurs par le parc pour la réfrigération des réacteurs fluviaux représente environ 47 milliards de m3 par an, mais que plus de 46 milliards de m3 sont restitués immédiatement en aval.

Le choix a été, lors de la sélection des sites de centrales nucléaires, de privilégier les circuits fermés sur les fleuves et rivières, afin de limiter le prélèvement, même s’il n’impacte le débit que sur quelques km. Les 8 réacteurs en circuit fermé, sur les 38 réacteurs fluviaux, sont tous le long d’un Rhône qui bénéficie d’un débit annuel important. Les 18 autres réacteurs français sont tous en bord de mer ou d’estuaires.

Par comparaison le débit annuel des fleuves et rivières concernées, selon EauFrance, est (voir tableau 2 ci-dessous) :

Tableau 2 : débit annuel des fleuves

Leur gestion prend en compte de nombreuses contraintes, qu’il s’agisse de la régularité de leur débit, de la biodiversité et de tous les autres usages, comme l’irrigation, la gestion des crues et des périodes de sécheresse,  et bien sûr l’alimentation en eau du pays.

Le bilan global est clair et s’éloigne fort du message sous-tendu par des déclarations aussi médiatisées que peu informatives : Les centrales nucléaires en bord de cours d’eau consomment moins de 0,5 % de leur débit annuel.

Il faut bien sûr tenir compte des fluctuations annuelles, ce qui est prévu dans la réglementation avec d’éventuelles restrictions, mais également des possibilités d’optimisation déjà mises en œuvre par l’exploitant, par exemple sur la Vienne ou sur la Loire.

Conclusion

Les centrales nucléaires consomment très peu d’eau en regard du service rendu (70 à 75 % de notre électricité), mais peuvent détourner très localement une part significative du débit d’un cours d’eau au droit d’une centrale, sur quelques kilomètres. RTE relève cependant que les années sèches récentes n’ont eu que très peu d’impact sur la production globale du parc nucléaire.

Les sécheresses annoncées résultant du réchauffement climatique sont traitées sérieusement et les dossiers remis à l’Autorité de Sûreté Nucléaire (aussi bien qu’aux administrations concernées par la ressource en eau), que ce soit pour la prolongation de l’exploitation des centrales nucléaires ou pour la construction de nouvelles centrales, prennent en compte les évolutions prévues des étiages, sur la durée d’exploitation envisagée, et conduisent à des ajustements des autorisations par l’Autorité de sûreté nucléaire. C’est pour cette raison que les futures centrales nucléaires implantées en bordure de cours d’eau seront réfrigérées en circuit fermé, pour limiter les volumes d’eau prélevée en amont des centrales, même si ces installations consomment un peu plus d’eau en valeur absolue que les centrales en circuit ouvert.

NB. : Les autres consommations d’eau douce des centrales nucléaires sont inférieures d’un facteur 100 environ, qu’il s’agisse de l’eau potable ou de la production d’eau déminéralisée.​ 

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