Multirecyclage du plutonium en REP ou relance des surgénérateurs

Avis de PNC-France

 

Dans sa synthĂšse du 6Ăšme rapport, le GIEC rappelle que toutes les formes d’énergie bas carbone, seront indispensables, allant jusqu’à retenir les Ă©nergies fossiles avec captage et stockage de CO2. C’est Ă©galement ce que martĂšlent sans cesse l’AcadĂ©mie des technologies et Fatih Birol, directeur gĂ©nĂ©ral de l’Agence internationale de l’énergie qui rappelle :

  • En 2019 : Il n’existe pas de technologie miracle qui rĂ©soudra les dĂ©fis environnementaux titanesques auxquels le monde fait face. « Nous avons besoin d’une innovation continue Ă  travers un Ă©ventail de technologies, dont les Ă©nergies renouvelables, l’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, les batteries, le captage du carbone, et plus encore. [L’agence] voit l’hydrogĂšne et l’énergie nuclĂ©aire comme deux aspects importants de la transition Ă©nergĂ©tique dans de nombreux pays, mais elle a besoin d’aide de la part des gouvernements pour surmonter les obstacles majeurs».
  • En 2021 : « L’AIE s’inquiĂšte trĂšs fermement de la stratĂ©gie plĂ©biscitĂ©e par l’Union europĂ©enne quant au futur mix Ă©nergĂ©tique du continent, craignant ainsi un abandon progressif du nuclĂ©aire. L’Europe n’a pas le luxe d’exclure une technologie bas carbone » affirme Fatih Birol, directeur de l’AIE.
  • En 2023 :  À Bruxelles, l’erreur a Ă©tĂ© de faire« preuve de froideur Ă  l’égard du nuclĂ©aire »

Pourtant, pendant que la « forĂȘt brĂ»le », l’Europe poursuit sa course en faveur d’une Ă©lectricitĂ© 100 % renouvelable (mais aussi importĂ©e !) et s’acharne Ă  dresser des barriĂšres contre le dĂ©veloppement du nuclĂ©aire. En France nous sommes entre deux Ăšres politiques, celle de la sortie progressive du nuclĂ©aire promue par l’écologie politique depuis 15 ans, toujours trĂšs prĂ©sente dans toutes les instances et administrations, et celle d’une relance du nuclĂ©aire initiĂ©e depuis 2 ans, mais encore sans vision Ă  long terme. Or le domaine de l’énergie, et en particulier celui d’une Ă©lectricitĂ© qui exige que l’équilibre du rĂ©seau soit toujours respectĂ©, comme celui des applications industrielles, relĂšvent tous deux du temps long, avec une vision Ă  50 ans au moins, et Ă  100 ans si on se prĂ©occupe des ressources.

La France dispose pourtant d’une extraordinaire ressource Ă©nergĂ©tique, comme les grands pays industriels qui ont la maĂźtrise du cycle amont de l’uranium et des technologies de l’enrichissement de l’uranium, son stock d’uranium appauvri. Il peut, avec les rĂ©acteurs de quatriĂšme gĂ©nĂ©ration, nous offrir une Ă©lectricitĂ© dĂ©carbonĂ©e, pilotable et Ă  coĂ»t maitrisĂ© pour des millĂ©naires. Mais la politique des dix derniĂšres annĂ©es a conduit Ă  arrĂȘter, avec l’abandon d’Astrid, le programme de rĂ©acteurs de 4Ăšme gĂ©nĂ©ration surgĂ©nĂ©rateurs, dont la France Ă©tait leader dans toutes ses facettes.

Plus grave encore, dans une perspective de sortie du nuclĂ©aire, nous nous sommes engagĂ©s dans un programme de multirecyclage du combustible nuclĂ©aire dans les rĂ©acteurs actuels, qui vise Ă  consommer le stock de plutonium issu du parc nuclĂ©aire, obĂ©rant ainsi l’avenir en privant de combustible cette quatriĂšme gĂ©nĂ©ration de surgĂ©nĂ©rateurs.

Et se prĂ©pare dans les arcanes administratives une proposition de reclassement en dĂ©chets de cette formidable ressource d’uranium appauvri, ce qui reprĂ©senterait un vĂ©ritable crime vis-Ă -vis des gĂ©nĂ©rations futures, qu’on priverait alors d’une ressource considĂ©rable d’énergie.

Multirecyclage des combustibles nuclĂ©aires dans les rĂ©acteurs actuels ou dĂ©veloppement volontariste de la 4Ăšme gĂ©nĂ©ration surgĂ©nĂ©ratrice, l’article ci-aprĂšs « Le multirecyclage du plutonium en REP, une stratĂ©gie perdante ! »de Dominique GrenĂšche, expert de PNC-France, nous Ă©claire sur une question complexe et dĂ©montre la formidable opportunitĂ© pour les gĂ©nĂ©rations futures que reprĂ©sente une relance des projets de rĂ©acteurs surgĂ©nĂ©rateurs alors mĂȘme que fourmillent de par le monde des projets de petits rĂ©acteurs innovants, souvent iso ou surgĂ©nĂ©rateurs.

 

ILLUSTRATION : Nicolas WAECKEL

 

Le multirecyclage du plutonium en REP, une stratégie perdante !

Dominique GrenĂšche

 

La France, qui Ă©tait considĂ©rĂ©e comme un des leaders mondiaux des technologies nuclĂ©aires, avait dĂ©cidĂ© il y a 50 ans que le nuclĂ©aire devait ĂȘtre durable et consommer l’intĂ©gralitĂ© du contenu Ă©nergĂ©tique potentiel de l’uranium en retraitant ses combustibles des rĂ©acteurs actuels Ă  eau pressurisĂ©e (REP), et en dĂ©veloppant les rĂ©acteurs Ă  neutrons rapide de quatriĂšme gĂ©nĂ©ration surgĂ©nĂ©rateurs (RNR) . Nous bĂ©nĂ©ficions en effet d’une situation exceptionnelle, avec une rĂ©serve d’uranium « appauvri », stratĂ©gique, qui reprĂ©sente potentiellement des milliers d’annĂ©es de production d’électricitĂ©.

L’arrĂȘt scandaleux de SuperphĂ©nix en 1997, puis du projet Astrid en 2019 ont fragilisĂ© notre pays, malgrĂ© le fonctionnement remarquable de PhĂ©nix jusqu’en 2010, qui a dĂ©montrĂ© les performances des RNR, tant pour la production d’énergie que pour la rĂ©duction des quantitĂ©s de dĂ©chets ultimes.

Mais seulement trois ans aprĂšs la dĂ©cision d’arrĂȘt d’Astrid, le paysage est renversĂ© par la dĂ©cision de relancer le nuclĂ©aire dans notre pays, l’émergence d’une Alliance du nuclĂ©aire regroupant 16 pays europĂ©ens, et le foisonnement mondial de projets de nouveaux rĂ©acteurs innovants, souvent iso ou surgĂ©nĂ©rateurs. La raison en est limpide, le nuclĂ©aire est dĂ©carbonĂ©, pilotable, Ă©conomiquement maĂźtrisĂ©.

Nous analysons ci-dessous les consĂ©quences de ce basculement sur la gestion du cycle du combustible dans notre pays. Faut-il poursuivre le programme en cours visant Ă  rĂ©duire drastiquement notre stock de plutonium issu du retraitement des combustibles, avec le multirecyclage dans les REP, ou faut-il conserver prĂ©cieusement ce plutonium pour disposer du stock nĂ©cessaire au dĂ©ploiement des rĂ©acteurs surgĂ©nĂ©rateurs ? Et faut-il avec le multirecyclage se prĂ©parer Ă  reclasser en dĂ©chets notre rĂ©serve d’uranium appauvri ou, grĂące aux surgĂ©nĂ©rateurs, la transformer en ressource Ă©nergĂ©tique au bĂ©nĂ©fice des gĂ©nĂ©rations futures, alors que la ressource d’uranium naturel va forcĂ©ment s’amenuiser.

  1. Comprendre la vie du combustible nucléaire : la charge initiale

Au dĂ©part le combustible chargĂ© dans un rĂ©acteur contient de l’uranium enrichi en uranium 235 fissile[1], l’U235 dans une usine de sĂ©paration isotopique par ultracentrifugation, qui a portĂ© sa teneur de 0,7 % (l’uranium naturel contient 99,3 % d’uranium 238 fertile ou U238) Ă  4 Ă  5 %. Il est consommĂ© dans nos rĂ©acteurs nuclĂ©aires, les rĂ©acteurs Ă  eau pressurisĂ©e, dits rĂ©acteurs Ă  « neutrons lents », qui ont Ă©tĂ© conçus pour privilĂ©gier la fission de l’U235.

L’optimisation du cycle du combustible nuclĂ©aire dĂ©pend de nombreux paramĂštres et, pour rendre cette gestion comprĂ©hensible, nous nous limiterons dans cette Ă©tude Ă  une comparaison avec un cas standard impliquant un enrichissement initial de l’uranium de 4,2 %, et une stratĂ©gie avec un seul recyclage, le monorecyclage, avec introduction d’un tiers d’élĂ©ments combustibles mixtes uranium plutonium (MOX) dans 22 de nos rĂ©acteurs, qui sont tous des RĂ©acteurs Ă  Eau PressurisĂ©e (REP).

Comme tout systĂšme de production, l’industrie nuclĂ©aire produit des rĂ©sidus, pour partie des matiĂšres recyclables et pour partie des dĂ©chets. Ils sont confinĂ©s Ă  l’intĂ©rieur de « crayons » (tubes Ă©tanches en zirconium), dans des pastilles  (initialement de l’oxyde d’uranium) au cƓur des assemblages de combustibles dits « usĂ©s » (CU) qui sont dĂ©chargĂ©s du cƓur, une fois qu’ils ont dĂ©livrĂ© toute l’énergie qu’il est possible d’en extraire avec la charge initiale d’U235. Or ces pastilles combustibles contiennent seulement 5% de dĂ©chets ultimes, essentiellement les produits de fission (96 % de la masse totale des dĂ©chets ultimes) et des noyaux atomiques lourds formĂ©s en rĂ©acteur, appelĂ©s « actinides mineurs ». Il faut y ajouter les dĂ©chets des structures mĂ©talliques de l’assemblage qui ont Ă©tĂ© contaminĂ©s ou activĂ©s pendant l’irradiation du combustible et les gaines.

Source SFEN

Le reste , soit 95 % de la masse totale des matiÚres résiduelles est constitué de deux éléments potentiellement valorisables :

  1. L’uranium rĂ©siduel, qui n’a pas Ă©tĂ© consommĂ© dans le rĂ©acteur, soit 94%. Il est appelĂ© uranium de retraitement (URT) et contient encore une proportion significative d’U235, supĂ©rieure Ă  celle de l’uranium naturel, environ 0,8 %. Il peut donc ĂȘtre rĂ©enrichi.
  2. Le plutonium (Pu), un peu plus de 1 %, qui est un Ă©lĂ©ment artificiel créé pendant l’irradiation du combustible par captures de neutrons par l’U238 Ce plutonium comprend 5 isotopes, seuls deux d’entre eux, majoritaires, Ă©tant fissiles au mĂȘme titre que l’U235, le Pu239 et le Pu241[2].

Typiquement, un assemblage usĂ© du combustible (le CU) d’un REP alimentĂ© en uranium enrichi contient quand il est dĂ©chargĂ© du rĂ©acteur :

 

Les proportions d’isotopes de l’U et du Pu pour une gestion du cƓur par 1/3,  

Au titre de la prĂ©servation des ressources naturelles, ces matiĂšres valorisables doivent ĂȘtre recyclĂ©es. La premiĂšre Ă©tape, dans des installations dites de traitement des CU (usine de La Hague), consiste Ă   cisailler directement l’ensemble de l’assemblage de combustible pour obtenir de petits tronçons de crayons de combustibles (d’environ 35 mm de longueur), puis de dissoudre leur contenu, et enfin Ă  sĂ©parer chimiquement les trois rĂ©sidus : l’U rĂ©siduel , dit Uranium de Retraitement (URT) , le Pu qui est un combustible nuclĂ©aire (matiĂšre fissile), et enfin les dĂ©chets ultimes qui sont ultĂ©rieurement vitrifiĂ©s et entreposĂ©s pour dĂ©croissance radioactive avant d’ĂȘtre envoyĂ© vers un centre de stockage gĂ©ologique (La procĂ©dure de  « Demande d’autorisation de construction » de CIGEO vient d’ĂȘtre engagĂ©e par l’AutoritĂ© de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire).

Aujourd’hui en France, l’URT n’est que trĂšs marginalement recyclĂ© dans les rĂ©acteurs aprĂšs rĂ©enrichissement en U235(URE), Ă  une teneur un peu supĂ©rieure Ă  celle du combustible initial afin de compenser la pĂ©nalitĂ© de l’U236, qui capture les neutrons sans conduire Ă  des fissions.

  1. Le monorecyclage du Pu en REP

Le plutonium est recyclĂ© en France aujourd’hui une seule fois en le mĂ©langeant Ă  de l’uranium appauvri issu des opĂ©rations d’enrichissement, dont le contenu rĂ©siduel en U235 est typiquement de l’ordre de 0,25 %. Il est intĂ©grĂ© dans un combustible appelĂ© MOX (pour Mixed OXyde), qui contient au dĂ©part environ 92 % d’uranium appauvri et 8 % de plutonium. C’est le monorecyclage.

Plusieurs pays, dont les USA, la SuĂšde et la Finlande ne retraitent pas les CU, considĂ©rĂ©s alors comme des « dĂ©chets ultimes » qui seront stockĂ©s dĂ©finitivement en couche gĂ©ologique profonde. Cette option est dite de « cycle ouvert ». D’autres pays, comme la France et le Japon[3], ont choisi le monorecyclage du CU pour leurs rĂ©acteurs Ă  eau lĂ©gĂšre. La Russie retraite Ă©galement son CU mais recycle le Pu dans des combustibles MOX chargĂ©s dans leurs RNR.

Les atouts du retraitement des combustibles usés associé au monorecyclage sont notables :

  • la rĂ©duction de volume des combustibles usĂ©s d’environ un facteur 7 par rapport au stockage direct de ces combustibles usĂ©s ;
  • la rĂ©duction de la consommation d’uranium naturel d’environ 10 % dans le cas du recyclage de la totalitĂ© du plutonium rĂ©cupĂ©rĂ© (situation actuelle en France lorsque l’usine MEMOX est pleinement opĂ©rationnelle).

Il présente cependant des limites :

  • Le REP n’étant pas optimisĂ© pour fonctionner avec du combustible MOX, le cƓur n’est « moxé » qu’à environ 30%.
  • Le Pu est partiellement utilisé et l’uranium appauvri n’est que marginalement consommĂ©. Ces matiĂšres Ă©nergĂ©tiques restent donc entreposĂ©es dans l’attente d’une valorisation future.

L’essentiel de l’U238 fertile reste ainsi inutilisĂ© alors que son potentiel Ă©nergĂ©tique (aprĂšs sa transformation en Pu) est le mĂȘme que celui de l’U235 fissile. La valorisation du Pu dans le MOX reste modeste, environ 25 % par recyclage, et les stocks de Pu continuent Ă  croĂźtre.

  1. Multirecyclage du Pu en REP ou surgénération dans un parc nucléaire de 4Úme génération ? 

Une Ă©tude trĂšs argumentĂ©e pour aller au-delĂ  du monorecyclage actuel a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e dans le cadre de l’élaboration du Plan national de gestion des matiĂšres et des dĂ©chets radioactifs[4], avec un objectif d’optimisation des ressources naturelles. Quatre options ont Ă©tĂ© comparĂ©es :

  1. un parc REP sans recyclage ou « cycle ouvert » servant de référence
  2. un parc REP avec monorecyclage du Pu
  3. un parc REP avec multirecyclage du Pu
  4. un parc RNR avec multirecyclage de l’uranium et du Pu ou « cycle fermé »

Le tableau ci-dessous montre clairement les performances inĂ©galables des surgĂ©nĂ©rateurs (colonne 4), qu’il s’agisse de la consommation ou de la production de dĂ©chets ultimes.

Source : https://nucleairedurable.fr/le-multirecyclage-en-rep.html

Par rapport Ă  l’option 1, sans recyclage, le monorecyclage du Pu en REP (option 2) permet de rĂ©duire de 10% (et jusqu’ 12 %) le besoin en uranium et de rĂ©duire de 40 % la quantitĂ© de Pu produite lors du cycle ouvert. Mais il augmente de 66 % la quantitĂ© d’actinides mineurs mise aux dĂ©chets.

3.1. – Le multirecyclage du Pu en REP (option 3) est moins performant que le monorecyclage car il faut enrichir davantage l’uranium pour compenser la dĂ©gradation isotopique du Pu aprĂšs chaque recyclage, avec croissance de la part non fissile de ce Pu (isotopes 238, 240 et 242) : on dit que le plutonium se dĂ©grade. De plus, il augmente de 300 % la quantitĂ© d’actinides mineurs Ă  mettre aux dĂ©chets par rapport au cycle ouvert (aucun recyclage du Pu). Ainsi, le multirecyclage du Pu en REP transforme une large partie de la matiĂšre Ă©nergĂ©tique en dĂ©chets ultimes tout en continuant Ă  consommer la ressource primaire, l’U Le gain de consommation d’uranium naturel, qui est d’environ 10 % avec le monorecyclage, n’est que de 15 % avec le multirecyclage, toutes choses Ă©gales par ailleurs. Les Ă©tudes actuelles estiment Ă  environ 20% le gain potentiel dans le cas d’un multirecyclage portant Ă  50% la part de MOX chargĂ© dans le rĂ©acteur (au lieu de 30% actuellement pour le monorecyclage).

Deux obstacles cependant :

  • la technologie du multirecyclage n’est pas encore qualifiĂ©e et nĂ©cessiterait des Ă©tudes longues et coĂ»teuses alors que les moyens d’essais du CEA, les rĂ©acteurs d’irradiation en particulier, sont tous arrĂȘtĂ©s.
  • Les installations industrielles actuelles, et particuliĂšrement l’usine MELOX de fabrication des combustibles MOX, n’ont pas Ă©tĂ© conçues pour un plutonium ayant composition isotopique aussi dĂ©gradĂ©e (vers 50 % de Pu non fissile) et des teneurs en matiĂšre fissile qui doivent ĂȘtre plus Ă©levĂ©es pour compenser cette dĂ©gradation. Un tel scĂ©nario impliquerait Ă©videmment de mettre en Ɠuvre de nouvelles capacitĂ©s de retraitement et de fabrication de combustibles MOX, ce qui nĂ©cessiterait de lourds investissements que rien ne justifie.

3.2. – La prĂ©paration du dĂ©ploiement des rĂ©acteurs surgĂ©nĂ©rateurs

L’objectif doit, en cohĂ©rence avec une politique de dĂ©veloppement durable et de prĂ©servation des ressources, viser Ă  constituer un stock de plutonium de bonne qualitĂ©, issu du premier retraitement ou de celui du monorecyclage, pour prĂ©parer un dĂ©ploiement ambitieux des rĂ©acteurs dits « à neutrons rapides » (RNR), de 4Ăšme gĂ©nĂ©ration, qui prĂ©sentent l’énorme avantage de transformer efficacement l’uranium 238 en PU 239 fissile de bonne qualitĂ© par capture neutronique. L’extraordinaire stock d’uranium appauvri que nous dĂ©tenons devient un combustible et nous protĂšge d’un Ă©puisement progressif de la ressource en uranium naturel.

4 – ÉlĂ©ments de rĂ©flexion pour une politique nuclĂ©aire

L’arrĂȘt du projet de rĂ©acteur rapide de dĂ©monstration Astrid, en 2019, Ă©tait en contravention avec la loi de 2006, qui prĂ©voyait explicitement la mise en service d’un tel rĂ©acteur 2020, ce que l’OPECST a explicitement condamnĂ©, le parlement n’ayant pas Ă©tĂ© consultĂ©. Cette dĂ©cision, qui visait Ă  reporter sine-die le dĂ©veloppement industriel des RNR, a remis en selle le projet de multirecyclage du plutonium en REP, malgrĂ© ses inconvĂ©nients. L’objectif des dĂ©cideurs semble ĂȘtre de limiter l’inventaire global de plutonium, abandonnant ainsi l’objectif de prĂ©servation des ressources. Cette orientation conduit Ă  transformer en dĂ©chets une rĂ©serve Ă©nergĂ©tique considĂ©rable, l’uranium appauvri, dĂ©jĂ  prĂ©sent sur le sol national, ce qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© proposĂ© par la DGEC (ministĂšre de la transition Ă©nergĂ©tique). C’est une solution qui, techniquement parlant, revient Ă  mettre de « l’or Ă  la poubelle » et se rĂ©vĂšlera coĂ»teuse car le combustible, plus irradiant, nĂ©cessitera des investissements pour le retraitement et la fabrication, dont le rĂ©alisme technologique et Ă©conomiques n’est pas encore dĂ©montrĂ©.

C’est une vision Ă©triquĂ©e du dĂ©veloppement de l’énergie nuclĂ©aire sur le long terme, qui doit impĂ©rativement s’affranchir de la dĂ©pendance aux approvisionnement en uranium naturel. Seuls les rĂ©acteurs rĂ©gĂ©nĂ©rateurs (ou mieux encore surgĂ©nĂ©rateurs) offrent la capacitĂ© Ă  consommer la quasi-totalitĂ© de l’inventaire de l’uranium, le 238 comme le 235. C’est une rĂ©alitĂ© scientifique et technique incontestable validĂ©e par l’expĂ©rience internationale significative acquise sur les prototypes de ces rĂ©acteurs nuclĂ©aires, en particulier en France. A cet Ă©gard il convient de rappeler deux Ă©lĂ©ments fondamentaux qui doivent servir de base Ă  l’élaboration d’un stratĂ©gie responsable dans ce domaine:

  • Selon les estimations communes de l’AIEA et de l’OCDE, les ressources assurĂ©es ou prĂ©sumĂ©es en Unat exploitables Ă  des coĂ»ts raisonnables sont de l’ordre de 12 millions de tonne (15 millions de tonnes en acceptant de payer 4 Ă  5 fois le prix moyen Ă  long terme de l’uranium tel qu’il est pratiquĂ© aujourd’hui sur les marchĂ©s).
  • Compte tenu de ces chiffres et de la consommation actuelle dans le monde (autour de 60 000 tonnes par an), une rarĂ©faction des ressources en uranium se profile Ă  la fin de ce siĂšcle, mĂȘme en supposant une croissance limitĂ©e du parc mondial de rĂ©acteurs nuclĂ©aires.

Il faut donc constituer le stock de plutonium de bonne qualitĂ© permettant le dĂ©ploiement de la quatriĂšme gĂ©nĂ©ration. Une telle dĂ©cision serait d’autant plus fondĂ©e que nous sommes le seul pays au monde qui rassemble tous les atouts pour dĂ©ployer ces RNR Ă  grande Ă©chelle. En, effet :

  • Nous possĂ©dons une expĂ©rience unique au monde sur cette technologie, grĂące Ă  notre vaste programme passĂ© de R&D couronnĂ© par la construction et l’exploitation des RNR de puissance PhĂ©nix et SuperphĂ©nix et l’étude d’Astrid.
  • La France bĂ©nĂ©fice d’un savoir-faire industriel exceptionnel sur le traitement de combustibles usĂ©s, le recyclage du plutonium et la fabrication de combustibles MOX.
  • Nous avons accumulĂ© sur notre territoire national un stock prĂ©cieux et considĂ©rable d’uranium appauvri (330 000 tonnes Ă  ce jour). Stable chimiquement, non inflammable, faiblement radioactif et de trĂšs faible volume, son entreposage ne pose aucun problĂšme critique et ne prĂ©sente aucun risque pour l’environnement.

L’examen des dizaines de projets en dĂ©veloppement dans le monde sur les rĂ©acteurs innovants, avec de grands pays industriels comme les USA, la Chine, et maintenant des pays europĂ©ens montre qu’il est urgent de dĂ©cider d’une vision Ă  long terme dans un domaine qui reste d’excellence en France.

[1] Se souvenir d’une notion fondamentale : un matĂ©riau peut-ĂȘtre fissile et dĂ©livrer une Ă©norme quantitĂ© d’énergie lors d’une rĂ©action en chaine contrĂŽlĂ©e dans un rĂ©acteur : c’est le cas de l’U 235 ou du Pu 239. D’autres sont fertiles : en capturant des neutrons dans le rĂ©acteur un isotope fissile (ex. U 238) peut ĂȘtre transformĂ© en un isotope fissile (PU 239) : c’est pourquoi il est nommĂ© fertile.

[2] Deux isotopes ont les mĂȘmes caractĂ©ristique chimiques mais diffĂšrent par leur masse (nombre de neutrons diffĂ©rents)

[3] L’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas, la SuĂšde, la Suisse, l’Espagne, l’Australie et le Japon ont signĂ©Ì des contrats pour le traitement-recyclage de leurs combustibles usĂ©s en France ou au Royaume-Uni. Certains d’entre eux (Suisse, Allemagne, Belgique), ont utilisĂ© du combustible MOX (fabriquĂ© en France) dans leurs rĂ©acteurs

[4]Le Plan national de gestion des matiĂšres et des dĂ©chets radioactifs est Ă©laborĂ© sous l’Ă©gide de l’AutoritĂ© de SĂ»retĂ© NuclĂ©aire (ASN) en application de la loi du 28 juin 2006 relative Ă  la gestion des matiĂšres et des dĂ©chets radioactifs.  https://www.asn.fr/espace-professionnels/installations-nucleaires/le-plan-national-de-gestion-des-matieres-et-dechets-radioactifs.

Lire l’article de Dominique GrenĂšche au format PDF :

Le multirecyclage du plutonium en REP, une stratégie perdante !

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