Le blackout espagnol : qu’en connaissons nous ?

28 / 05 / 2025

POINT DE VUE DE PNC-FRANCE, par Jean Pierre PERVES, Groupe d’experts de PNC

Fonctionnement des réacteurs dans la durée

 

PNC- France a déposé une contribution dans le cadre de la consultation engagée par l’ASNR sur les conditions de la poursuite de fonctionnement des réacteurs de 1300 MWe au-delà de 40 ans. C’est une étape importante, mais PNC-France souligne que cette aventure industrielle doit être appréhendée plus largement, avec une perspective à plus de 60 ans et dans le cadre d’une relance effective du nucléaire (qui ne peut se limiter à 6 EPR2 et à des SMR encore hypothétiques, et doit inclure la perspective des réacteurs de 4ème génération). La nouvelle organisation de l’ASNR (Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection) est l’occasion d’une réflexion sur l’efficacité de l’industrie française et des processus qui la gouvernent afin de corriger les dérives résultant d’une politique énergétique nationale déficiente depuis des décennies. PNC-France s’est exprimée clairement sur le projet de PPE3 et ses faiblesses (  https://www.pnc-france.org/la-ppe3-energie-et-electricite-une-evolution-qui-reste-tres-decevante-les-avis-de-pnc-france/ ) et reste dans l’attente de son examen en cours par la représentation nationale. 

Par contre, PNC-France a écouté avec attention l’exposé de Pierre-Marie Abadie, président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR), devant l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologique lors de sa présentation du rapport de l’ASNR sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2024 . Cet exposé ouvre des perspectives que PNC-France ne peut qu’apprécier tant pour les travaux liés aux décennales que pour les projets futurs, et en particulier le programme des EPR2.

Nous notons l’importance apportée par l’ASNR à la standardisation et à l’effet de série, industriellement comme en matière de sûreté : en ce sens le programme EPR2 ne trouvera sa robustesse qu’avec une série significative, et dans le cadre d’un engagement initial de 14 EPR2. Par ailleurs le fonctionnement du système nucléaire doit être optimisé et nous notons dans l’exposé de Pierre-Marie Abadie des propositions importantes:

  • La réduction d’une certaine rigidité des processus.
  • La correction de la complexification progressive de la documentation de l’exploitant (la règle générale d’exploitation par exemple), qui conduit à des difficultés d’application et à une perte du sens par les opérateurs.
  • L’objectif de stabilisation du référentiel pour une série de réacteurs identiques. Le référentiel français est déjà, en comparaison, très conséquent. 
  • L’évaluation de l’impact d’une modulation fréquente et intense du régime de fonctionnement des réacteurs pour compenser les errements des capacités intermittentes.
  • Le rappel des principes de base : L’exploitant est responsable et l’ASNR prescrit des objectifs de sûreté et de radioprotection.
  • L’importance d’une vision à long terme : PNC-France approuve l’examen en cours des défis à relever pour une prolongation au-delà de 60 ans, mais soutient la nécessité d’un avis de l’ASNR portant sur au moins 20 ans.

Lire ci-après la contribution de PNC-France à cette consultation.

 

ILLUSTRATION

Nicolas WAECKEL

Consultation ASNR sur les conditions de la poursuite de fonctionnement des réacteurs de 1300 MWe au-delà de 40 ans

Contribution de PNC-France

Des quatrièmes décennales qui préparent l’avenir 

PNC-France porte un avis très positif sur la prolongation d’exploitation des réacteurs de 1300 MW, qui offrent une production souple et très décarbonée. Ils bénéficient du retour d’expérience des réacteurs 900 MW, des gestions faibles flux pour limiter la fluence sur la cuve, de la maîtrise des variations des paramètres de fonctionnement des composants centraux du circuit primaire et des progrès de la métallurgie sur les aciers de cuve. PNC France estime que les quatrièmes décennales doivent effectivement ouvrir la voie à une durée d’exploitation très au-delà de 50 ans. 

PNC-France se félicite d’une consultation générique qui concerne les 20 réacteurs de 1300 MW P4 et P’4, cohérente avec un besoin d’industrialisation d’un programme majeur de renforcement de ces réacteurs. Il approuve également l’étalement de l’implémentation des modifications requises, entre la visite décennale réglementaire et le 4ème rechargement, en priorisant celles portant le plus de bénéfices pour la sûreté.  On optimise ainsi ces opérations industrielles en tenant compte des capacités des fournisseurs et des prestataires d’EDF et de la capacité des équipes sur le terrain à intégrer les modifications apportées aux installations.

PNC-France note aussi que « les priorités du 5ème réexamen seront le maintien de la conformité des installations, la vérification de la qualification des matériels au-delà de 50 ans et la gestion du vieillissement, en mettant l’accent sur les effets du changement climatique sur les installations ». Ces deux dernières priorités, qui entérinent les améliorations majeures de sûreté apportées lors des 4èmes réexamens, devraient être en effet le gage de 5ème décennales raisonnables, limitant les interruptions d’exploitation, la production d’électricité devenant essentielle avec l’électrification de notre économie.

Nous notons avec satisfaction que la branche expertise de l’IRSN a  souligné le travail conséquent réalisé par EDF : « En effet, EDF a repris l’intégralité de la démonstration de sûreté déterministe des réacteurs de 1300 MWe en tenant compte de l’introduction de nouveaux combustibles URE et MOX, du retour d’expérience du parc électronucléaire français et international, de l’évolution des connaissances ainsi que des objectifs de sûreté applicables aux nouveaux réacteurs, ce qui, nonobstant les réserves (…) concernant certaines études, constitue une démarche adaptée au cadre d’un réexamen périodique associé à la prolongation de la durée de fonctionnement de réacteurs. Par ailleurs, de nombreuses modifications matérielles et intellectuelles sont prévues d’être implémentées, ce qui permettra d’améliorer la sûreté des réacteurs de 1300 MWe ».

PNC-France approuve ainsi les priorités exposées dans le cadre de cette consultation, sur lesquelles l’essentiel des modifications devraient porter, à savoir :

  • la conformité des réacteurs à leur référentiel ;
  • la maîtrise de l’évolution des agressions d’origine interne ou externe. 
  • la limitation des conséquences radiologiques des accidents sans fusion du cœur,
  • le confortement de l’alimentation en eau des piscines, 
  • la limitation du risque d’accident avec fusion du cœur et de ses conséquences, pour réduire les rejets dans l’environnement pouvant en résulter.

PNC-France considère en effet que les conséquences d’évènements, quelles que soient leurs ampleurs, ne doivent pas conduire à des impacts durables sur les populations voisines.

Recommandations de PNC-France

PNC-France considère cependant que des évolutions potentielles méritent une grande attention :

  • la complexification qui pourrait résulter des objectifs fixés par l’ASNR « …les objectifs de sûreté à retenir pour le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 1300 MWe doivent être définis au regard des objectifs applicables aux réacteurs de nouvelle génération ». Cette cible, poussée à l’extrême , est porteuse de complexités, d’un foisonnement d’équipements et donc de fragilités. PNC-France rappelle que la priorité accordée dans d’autres pays au respect des conformités de préférence à des modifications très lourdes, ne semble pas avoir eu de conséquences négatives sur leur régularité d’exploitation, le nombre d’évènements significatifs pour la sûreté, et l’appréciation de la capacité d’être exploités de 60 à 80 ans. Un juste équilibre est à trouver entre le renforcement de la sûreté matérielle des installations et de la sûreté en exploitation, qui dépend du maintien raisonnable de la complexité d’exploitation, tenant compte des facteurs humains. De trop nombreuses modifications de la conception initiale, mais également des raisonnements qui ont conduit à les enjoindre, peuvent en effet se révéler contre-productives car rendant de plus en plus complexes l’exploitation, la maintenance, ou les interventions à la suite d’évènements non programmés. Elles sont génératrices de tensions.
  • Concernant la durée d’exploitation des réacteurs, PNC-France considère qu’elle doit être prolongée au mieux, certes dans des conditions sûres, mais en ne perdant pas de vue les risques globaux résultant par ailleurs de l’évolution climatique. L’objectif affiché, « à l’issue de la phase générique du réexamen, l’ASNR considère que l’ensemble des dispositions prévues par EDF et celles qu’elle prescrit ouvrent la perspective d’une poursuite de fonctionnement des réacteurs de 1300 MWe pour les dix ans suivant leur 4e réexamen périodique », est certes conforme à la loi, mais il n’est pas suffisant. Le gouvernement a besoin d’un avis clair sur la possibilité d’exploitation d’au moins 20 ans supplémentaires. Il est en effet vital, compte-tenu des délais de mise en œuvre de nouveaux équipements dans ce domaine et de la lourdeur des investissements, que le gouvernement puisse les programmer en temps utile. La loi devrait désormais prévoir une prise de position de l’ASNR sur une durée supplémentaire d’exploitation à un horizon de 20 ans glissant, au moins. Les programmes concernant le vieillissement des installations et leur conformité aux prescriptions sont en conséquence prioritaires sur tout autre programme. La question de l’impact du réchauffement climatique sur l’exploitation du parc dans une quarantaine d’années, avec son niveau d’incertitude, doit être analysée avec pragmatisme.
  • l’évolution du mix électrique français, avec l’impact des fluctuations apportées par les capacités intermittentes, est préoccupante, en particulier en ce qui concerne l’exploitation à long terme, la fatigue des équipements, mais aussi la robustesse financière du parc. Les Présidents successifs de l’ASN ont exposé leur préoccupation face à la diminution de la part des capacités pilotables dans le mix français, l’IGSNR d’EDF s’est inquiété de la modulation imposée au nucléaire et le Président de RTE a rappelé avec force que « les ENR sont devenues un acteur majeur du système électrique, il faut que demain, elles aient les mêmes droit et les mêmes devoirs que les autres moyens de production » et que « les exigences de sécurité d’alimentation du réseau ne sont tout simplement pas compatibles avec un pourcentage trop élevé d’Énergie Fatale Intermittente ». Bien que ce point ne soit pas directement concerné par la consultation, PNC-France estime que des évolutions prescriptives, réglementaires et/ou législatives sont nécessaires, traitant des modulations imposées au nucléaire, des priorités à accorder aux productions pilotables, et des responsabilités que les productions intermittentes devraient assumer.  
  • La gestion durable de la ressource, avec en particulier les considérables stocks d’uranium appauvri et de retraitement, incite, comme souligné par des commissions parlementaires et le récent Conseil de Politique Nucléaire, à relancer un programme robuste de réacteurs de quatrième génération surgénérateur destiné à des productions de grande ampleur. PNC-France considère que le développement du multi recyclage MOX (projet MRREP) sur le palier 1300 MW serait contre-productif (consommation sans grande valeur ajoutée de Pu dont on aura absolument besoin pour la montée en puissance d’un parc de RNR de puissance).
  • les délais qui pèsent sur l’industrie française, et en particulier sur le nucléaire, sont une source d’inquiétude récurrente. PNC-France souhaite qu’un effort particulier d’optimisation soit mis en œuvre à l’occasion de ce programme, d’autant plus que le retour d’expérience des 4ème décennale des 900 MW est largement acquis, de même que le programme de restauration des compétences et moyens industriels d’EDF et des industriels concernés.  La profondeur de l’analyse générique de ce palier, de même que le retour d’expérience du palier 900 MW doivent permettre un allègement sensible des procédures imposées aux autorisations à venir pour chacun des 20 réacteurs ainsi que pour la décennale suivante. Nous rejoignons le constat de Pierre-Marie Abadie, président de l’ASNR, lors de son audition devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de la nécessité d’établir : « une stratégie de contrôle de chantiers en grand nombre ». PNC-France estime que l’impact positif de l’effet de série, démontré lors des décennales des réacteurs de 900 MW, de même que l’efficacité démontrée par EDF lors du traitement de la question de la corrosion sous contrainte, doit permettre à la filière, comme le demande Pierre -Marie Abadie,  « de répondre aux défis du management de projet, de la performance industrielle et de la maîtrise de la culture de qualité et de sûreté sur l’ensemble de sa chaîne de sous-traitance », à condition cependant que les procédures, longues et contraignantes, puissent être optimisées. 
  • Le volume documentaire est devenu critique pour les exploitants. Là encore nous rejoignons le constat du Président de l’ASNR quand il rappelle que « depuis le début de leur fonctionnement, les référentiels d’exploitations des réacteurs se sont complexifiés, notamment pour tenir compte du retour d’expérience et de la réévaluation des risques externes », et que cette complexité a pu entraîner « des difficultés d’application des règles, voire une perte de sens pour les opérateurs, ayant des effets sur la maîtrise des risques » PNC-France estime en effet que la présence sur le terrain et une connaissance de celui-ci ne doivent pas être contrariés par un excès documentaire.  Il peut se révéler contreproductif du point de vue de la sûreté d’exploitation car extrêmement chronophage et générant un risque de perte de vue de l’essentiel. L’importance du programme nucléaire annoncé, avec le développement de l’EPR2, les projets de SMR et AMR, et le programme sur le cycle du combustible rendent d’autant plus nécessaire cette simplification. Il ne faut en effet pas perdre de vue que, in-fine, c’est l’exploitant nucléaire qui est en première ligne, c’est-à-dire pleinement responsable de la sûreté et de la sécurité de ses installations.

Lire le texte de la

Consultation ASNR sur les conditions de la poursuite de fonctionnement des réacteurs de 1300 MWe au-delà de 40 ans

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Consultation ASNR sur les conditions de la poursuite de fonctionnement des réacteurs de 1300 MWe au-delà de 40 ans

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