Électricité : l’Allemagne comme l’Europe réagiront-elles à temps ?
Avis de PNC-France
Désindustrialisation, appauvrissement des familles, la production d’électricité est devenue le talon d’Achille de l’Europe ! Malgré ce constat, en octobre 2025, le conflit idéologique entre « il faut décarboner pour le climat » et « il faut imposer le tout renouvelable » perdure en Europe. C’est ainsi que, dans le cadre d’une négociation cruciale pour son financement, l’hydrogène nucléaire (pourtant de loin le plus décarboné) fait toujours l’objet de la vindicte de la bande des quatre (Allemagne, Danemark, Autriche, Luxembourg, avec en arrière-plan l’Espagne). Et ceci avec le soutien indéfectible d’une Vice-Présidente espagnole et d’un Commissaire européen danois. Malgré la reconnaissance par la Commission européenne de l’importance de la décarbonation, ils veulent encore réserver les financements les plus favorables à l’hydrogène vert, malgré son coût, son faible rendement global et une efficacité carbone contestable. L’article ci-après, « L’électricité et l’Allemagne : un choix radical et une mainmise sur l’Europe », observe le quotidien du mix électrique allemand, en révèle les excès, et s’inquiète de cette lutte d’influence à Bruxelles, contre la France et son choix énergétique.
Sans préjuger d’un rapport d’analyse final très attendu, le blackout ibérique d’avril 2025, comme ceux d’avril et octobre 2025 au Brésil, ne peuvent qu’inquiéter. La fragilité du réseau électrique européen s’accentue : une complexité galopante liée à la dispersion et au nombre de capacités intermittentes, une variabilité profonde et rapide, un retard à développer des réseaux et les moyens de suppléer à l’intermittence du solaire et de l’éolien, une envolée des coûts réels subventions incluses, un manque criant d’évaluation des options retenues.
La stratégie germano-européenne, déclinée par une technostructure prête à sacrifier l’Europe à son idéologie (à Bruxelles comme à Paris) est déjà lourde de conséquences : des importations massives (11,1 milliards en 2024 pour le seul solaire chinois et une envolée de leurs exportations d’éoliennes), une industrie des matériaux moribonde, des propositions d’investissements irresponsables (101 projets de liaisons électriques Haute Tension transfrontalières !). La Commission européenne propose de 1.994 milliards à 2.294 milliards d’euros d’investissements sur les réseaux d’ici 2050 ! La nouvelle coalition gouvernementale allemande s’engage à poursuivre la politique énergétique du gouvernement précédent, et maintient la sortie du charbon en 2038. Mais elle se résout aussi à relancer la construction de dizaines de centrales à gaz, présentées avec beaucoup de duplicité comme compatibles hydrogène (ce dernier étant produit à partir de l’électricité avec un très faible rendement !).
Le message du Président de RTE, Xavier Piechaczyk, devant les représentants du syndicat des énergies renouvelables est nouveau : « Ce qui est important, dans un monde où on arrive à marcher sur ses deux pieds avec le nucléaire et les EnR, c’est que tout le monde accède aux mêmes droits et mêmes devoirs. C’est pour les énergies renouvelables, et le solaire en particulier, la rançon de l’âge adulte ». Les développements doivent être cohérents avec les besoins, les gestions des courbes de charge de production et des courbes de consommation doivent s’ajuster et toutes les sources y contribuer. Il faut bâtir le futur sur la base des coûts complets de production du système électrique, aides et garanties de fourniture incluses, de la réalité des empreintes CO2 générées et évitées. Mais surtout, il faut reconnaître les services indispensables apportés par les productions pilotables.
L’objectif de l’article n’est pas de présenter une analyse scientifique et technique d’un domaine complexe, l’électricité, ni d’accabler le lecteur de résultats de modèles abscons. Il ambitionne de présenter l’évolution du mix électrique allemand, d’appréhender visuellement la réalité du terrain dans ce pays, et de constater son impact négatif sur ses voisins.
Dessin Nicolas Waeckel
20 octobre 2025
L’électricité et l’Allemagne : un choix radical et une mainmise sur l’Europe
Jean-Pierre Pervès
1. Préambule
En 2012, avec 114 GW de puissance installée, dont 102 GW potentiellement pilotable et 12 GW d’électricité intermittentes, l’Allemagne maitrisait son besoin d’électricité et exportait. Elle bénéficiait d’une production sûre, avec une marge de 17 GW par rapport au pic de puissance annuel de 85 GW!
En 2025, l’Allemagne ne consomme pas plus, a un pic annuel de puissance identique, mais doit gérer 2,3 fois plus de puissance installée (267 GW). Elle s’est contrainte à privilégier un parc intermittent de 168 GW, deux fois plus que l’appel maximal de puissance hivernal. Elle a dû importer de l’électricité l’an passé, et sa puissance potentiellement pilotable s’est réduite de 15 GW. Elle n’a plus de marge.
Dans le même temps, elle n’a pas su faire face à ses responsabilités, c’est-à-dire répartir sa production (entre le nord venteux et le sud plus ensoleillé et fortement consommateur), et compenser la variabilité de ses productions prioritaires, solaire et éolienne, par des stockages et des flexibilités. Plus grave encore, soutenue par l’Autriche, le Danemark et l’Espagne, elle a obtenu de l’Europe un traitement de faveur. Elle bénéficie du droit de déversement de ses surproductions intermittentes dans le réseau européen, aux dépens des politiques nationales des pays voisins. Contrairement à ses affirmations, elle a donné priorité aux énergies renouvelables en non à la décarbonation de son mix.
Aujourd’hui l’Europe se refuse à imposer aux États-membres une politique responsable de l’électricité, cohérente avec leurs objectifs nationaux, et à gérer la variabilité de leurs productions intermittentes. L’Europe se fragilise et détruit sa compétitivité, sous le prétexte d’une fluidité dite « vertueuse » du marché de l’électricité, tout en favorisant une politique des coûts dévoyée par des réglementations inégalitaires, entraînant spéculation et spoliation des consommateurs. Et l’administration française se félicite de cette dérive, que ce soit à la DGEC ou à la CRE !
2. Quelques données sur l’électricité allemande
2.1. Capacités de production en Allemagne (septembre 2025) :
- Puissance installée actuelle : 267 GW, multipliée par 2,3 en 22 ans
- Puissance installée intermittente (éolien + photovoltaïque) : 168 GW
- La puissance appelée évolue entre 85 GW en hiver et 62 GW en été, avec 168 GW intermittents, dont 103 GW de solaire (en septembre 2025 avec une croissance de 7 GW depuis 9 mois).
Et le programme allemand retient toujours un objectif de 930 GW de puissance installée en 2045, dont 779 GW de solaire photovoltaïque et d’éolien, sans nucléaire. Elle s’est donc engagée dans un programme de développement massif des bio fuels et de la filière hydrogène, avec des importations massives, et s’attache à l’imposer au reste de l’Europe. La nouvelle coalition gouvernementale allemande, tout en affirmant agir en conformité avec la politique énergétique du gouvernement précédent, qui programmait la sortie du charbon en 2038, se résout cependant à relancer la construction de centrales à gaz, habilement et très précocement présentées comme compatibles hydrogène : elle annonce un appel d’offre de 12,5 GW, un objectif de 20 GW en 2030 (selon le Ministre de l’Économie), voire 70 GW à long terme. Mais d’où viendront le biogaz et l’hydrogène vert ? Avec quel rendement et quel bilan CO2 ?
2.2. Consommation d’électricité
- Elle était de 491 TWh brut en 2024 (506 TWh en 2023, soit – 2,9 %)
- La production annuelle d’électricité est en baisse de 24 % par rapport aux années 2010 : sa fragilité lors des pics de consommation ne fait que s’amplifier.
- En ce qui concerne les émissions de CO2, pour une production inférieure de 9 % à celle de la France (539 TWh), le secteur électrique en Allemagne a émis 160 MtCO2eq, soit 15 fois plus par TWh d’électricité produite par la France (11,7 TWh) en 2024.
- Sans l’arrêt progressif du nucléaire en Allemagne, achevé en 2023, le pays aurait engrangé plus de 1 000 TWh de production très décarbonée, réduit ses émissions de plus de 900 MtCO2eq. environ, soit 5,4 fois l’émission annuelle 2024 de l’ensemble du secteur électrique allemand. Et ce nucléaire aurait pu fonctionner au moins 20 ans de plus, évitant ainsi des investissements massifs et surdimensionnés en moyens renouvelables et moyens de compensation au gaz et lignite.
- En 2024 l’Allemagne continuait de produire 39 % d’électricité carbonée (France 5,1 %), dont 22 % à partir de combustibles solides très émetteurs de CO2 et de pollution atmosphérique.
3. Après les blackout ibérique et brésiliens, que penser de cette croissance débridée
3.1. Quelles leçons préliminaires en tirer ?
Le blackout ibérique et ceux du Brésil sont des signaux d’alerte majeurs. Sans préjuger des résultats du rapport définitif de l’ENTSO-E (l’association des gestionnaires de réseaux européens), son pré-rapport, très factuel, met l’évènement ibérique au niveau le plus élevé de la classification des risques réseaux. Il montre :
- l’extraordinaire complexification et la densification du réseau imposés par les productions intermittentes,
- le manque de maîtrise par les gestionnaires de ces réseaux des effets induits par une part significative des installations intermittentes dans le mix,
- la prééminence , au moment du blackout, de la part de production intermittente (plus des 2/3 en Espagne, notamment solaire) et la faible part (environ 22%) des capacités pilotables disponibles, essentielles à la stabilisation du réseau et éloignées géographiquement. En outre, l’effet pernicieux des épisodes de prix négatifs sur une production intermittente n’a pas été géré correctement.
- des instabilités qui ont provoqué des défaillances en chaînes (180 environ) en seulement 1’20’’, essentiellement dans les parcs solaires et éoliens durant la première seconde. Y avait-il, avec une telle production fatale, suffisamment d’alternateurs couplés au réseau, de stockages et de couplages électroniques rapides, y avait-il des formeurs électroniques de réseaux ? On peut en douter et cela risque de devenir crucial en Europe à court terme, quel qu’en soit le prix.
- Et, comme au Brésil , l’impact d’un développement très subventionné et non maîtrisé du petit solaire sur toiture, dont la production ne peut être interrompue en cas de surproduction.
Ce constat préliminaire est implicitement confirmé par le gestionnaire du réseau espagnol, REE, qui, après avoir renforcé la contribution des capacités pilotables sur son réseau depuis le blackout, vient de demander le 1er octobre 2025 à son Centre de contrôle des énergies renouvelables d’implémenter au plus vite (pour le 8 octobre) de nouvelles procédures réseau, sans attendre les recommandations du régulateur européen. Il a demandé parallèlement au régulateur espagnol, la Commission nationale des marchés et de la concurrence (CNMC), de modifier en urgence les règles d’exploitation des centrales d’énergies renouvelables pour éviter une nouvelle chute du réseau (avec des manques à gagner à prévoir pour leurs propriétaires). Il précise qu’il y a nécessité à « modifier temporairement plusieurs procédures de gestion du système électrique ». Quatre paramètres clés sont visés : le processus de programmation des EnRi, les restrictions techniques, la régulation secondaire de fréquence (?) et le contrôle de la tension. Ces demandes sont à mettre en parallèle avec les 4 conditions indispensables et simultanées exigées par RTE en France (2021) pour une production intermittente majoritaire (voir ci-après).
Les leçons qu’il faudra tirer de ces événements ne devraient pas se limiter à des gestes techniques : c’est toute la gestion de l’ordre des priorités d’accès au réseau qui doit être revue, afin de préserver la résilience et la compétitivité des capacités pilotables. Et l’Allemagne, avec ses surcapacités intermittentes et la diminution de ses moyens pilotables devient un vrai sujet d’inquiétude pour notre pays (sans oublier les surcapacités intermittentes en Espagne, au Danemark, en Ecosse et en Belgique par exemple).
3.2. Quelques exemples concrets de gestions hasardeuses en Allemagne
Chaque saison apporte des épisodes très fréquents de surproductions et de sous-productions considérables qui exigent la plus grande attention.
3.2.1. Été 2025 :
La puissance éolienne et solaire allemande sur le réseau atteignait fréquemment la cinquantaine de GW (auxquels il faut ajouter les petites installations sur toiture non connectées au réseau). C’était quasiment au niveau du pic de consommation de la mi-journée, moins de 60 GW. La stabilité du réseau reposait alors largement sur l’Europe, par des exportations non bridées, pesant ainsi sur les capacités pilotables des pays voisins et leurs productions décarbonées nationales.
- Au mois d’août, la production intermittente variait de 5 à 53 GW entre le matin et le soir pour une consommation évoluant de 36 à 62 GW, tout en bénéficiant d’un accès prioritaire au réseau. Or cette production sans inertie n’apporte pas l’indispensable garantie du service système, qui impose un contrôle de la stabilité en fréquence comme en tension. De surcroît, les mêmes difficultés apparaissent simultanément dans une large partie de l’Europe qui hérite de conditions climatiques similaires. La figure ci-dessous présente le cumul des productions en août 2025 et l’évolution de la puissance appelée, en noir (échelle de gauche en MW), et l’évolution du prix spot en rouge (échelle de droite en €/MWh). Le tableau présente le détail des apports de puissance, en milieu de journée le 19 août.
Il est intéressant d’observer le détail des apports par énergie :
- Au pic de la journée la puissance intermittente est de 53 GW et celle des centrales fossiles de 7,6 GW, soit seulement 11 % de la puissance délivrée de 68,4 GW.
- Le mix électrique allemand est alors dans des conditions semblables à celles de l’Espagne lors du blackout, avec très peu de machines tournantes apportant leur inertie à la stabilisation du réseau.
- On constate une variation très rapide de la production intermittente, jusqu’à 13 GW/h en milieu de matinée comme d’après-midi : l’équivalent de 13 à 15 centrales nucléaire !
- Le détail montre que l’intérêt allemand conduit, au détriment de l’intérêt climatique, à privilégier la combustion du lignite national (56 % de la production fossile).
- Du pic de production de mi-journée au pic du soir, les centrales fossiles doivent assurer le suivi en évoluant de 7,6 à 25,5 GW, sans être rétribuées pour leur pilotabilité.
- L’Allemagne s’est ainsi trouvée exportatrice de 8 à 15 GW d’EnRi le jour et importatrice de 8 à 10 GW en soirée chaque jour de ce mois d’août. Elle compte pour cela sur ses voisins.
A la différence de l’Espagne l’Allemagne à la possibilité, soit de se débarrasser de ses productions excessive chez ses voisins, soit d’importer son déficit d’approvisionnement grâce à sa situation géographique et à ses nombreuses interconnexions. Cette situation très favorable ne peut que se dégrader rapidement avec les croissances programmées de l’éolien et du solaire dans l’ensemble de l’Europe.
Un détail est révélateur de cette mainmise allemande sur le mix européen : le 20 juillet 2025, le nucléaire français est obligé de réduire sa puissance en milieu de journée (de 42 à 31 GW), et le solaire et l’éolien écrêtés respectivement de 5 GW (de 13 à 8 GW) et de 3 GW (de 7 à 4 GW), soit un total de réduction forcée de 19 GW pour une puissance appelée nationale de 55 GW (source RTE Eco2mix). Et le prix spot s’effondrait et devenait nul ou négatif partout sauf en Angleterre.
L’énergie pilotable qu’est le nucléaire, contrainte à faire varier considérablement sa production, se voit ainsi fragilisée par les fluctuations thermomécaniques qui lui sont imposées. Or, durant cette même journée, le niveau de puissance du mix allemand dépassait de 16 GW le niveau utile au pays, sans écrêtement d’un solaire surdimensionné ! Et ce n’était pas une situation exceptionnelle ! Un vrai traitement de faveur accordé à l’Allemagne!
3.2.2. En mi-saison, des prix spot très élevés, puis longuement négatifs
En ce début d’automne 2025 en Allemagne, sur deux semaines du 29 septembre au 10 octobre, les prix spot vespéraux, aux pointes de consommation, s’envolent jusqu’à 360 €/MWh (trait rouge et échelle de droite), puis, suite à une période très venteuse, bien que peu ensoleillée, s’effondrent et restent négatifs pendant près de deux jours consécutifs.
Les prix spots français évoluent de la même manière, avec cependant des prix moitié moindre à la pointe du soir grâce à la production nucléaire, soit 150 €/MWh (au lieu de 360 €/MWh en Allemagne). La France est confrontée durant ces mêmes deux jours à des prix négatifs. Cette situation ubuesque a été observée dans tout le nord de l’Europe ! Est-ce là une volatilité des prix conforme aux souhaits de la CRE, ou est-ce la conséquence d’une organisation démente du marché ?
Pendant cette même période, la France exportait vers l’ensemble de ses voisins entre 8 et 15 GW, et se voyait infliger un prix spot évoluant de 32 à 150 €/MWh, sans aucune corrélation avec son prix moyen de production, alors même qu’elle disposait de toutes les ressources nécessaires.
3.2.3. Des jours d’hiver ou Éole et un Hélios sont à la peine
Du 16 au 22 janvier 2025, l’Allemagne doit faire appel à ses capacités carbonées (jusqu’à 40 GW, alors que ses 162 GW de capacités intermittentes n’offrent que quelques GW, et au maximum une quinzaine en milieu de journée. Et elle fait appel à 10 à 20 GW d’importations (ce qui lui permet, avec l’aide de ses voisins, dont la France, de réduire ses émissions de CO2).
Il en résulte des prix élevés en Allemagne, jusqu’à 370 €/MWh. Ce niveau est loin d’être exceptionnel et peut dépasser 1 000 € en ces périodes hivernales, pour le plus grand bonheur des spéculateurs.
La situation est très similaire en France pendant cette même période avec un solaire et un éolien faibles, mais encore 5 à 12 GW d’exportations. Les prix sur notre réseau sont toujours supérieurs à 120 €/MWh malgré une production largement autosuffisante, mais peuvent atteindre de 300 à 350 € dans la soirée (et dépasser de 500 à 700 €/MWh chez d’autres voisins). Dans cette situation les prix français ne s’établissent toujours pas en fonction de ses coûts de production, mais des tensions et des spéculations sur le réseau européen.
3.3. La France est-elle à l’abri d’un blackout?
Le 25 septembre 2025, Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE, alerte sur la fragilité du réseau électrique face aux variations imprévisibles des énergies renouvelables. Selon lui, le 1ᵉʳ avril 2025 à mi-journée, la France aurait frôlé le blackout. Brutalement, le réseau électrique a perdu 6 gigawatts (GW) de production photovoltaïque et 4 GW de production éolienne (soit l’équivalent de dix réacteurs nucléaires). Les opérateurs d’EnRi, effrayés par l’apparition de prix spot négatifs, ont provoqué volontairement ces chutes soudaines de production, sans avertir le gestionnaire de réseau. Surpris, RTE a eu le plus grand mal à compenser cette variation imprévue, d’autant plus que les mêmes productions EnRi avaient forcé le nucléaire à réduire sa production de 7 GW quelques heures plus tôt.
4. Un désordre organisé par l’Europe sous influence allemande
Les fragilités révélées par le blackout ibérique et les perturbations imposées par la gestion allemande sont identifiées depuis plus d’une décade par les experts du domaine en France (voir les rapports des académies des sciences et des technologies). Elles pèsent lourdement sur le marché européen. Les avantages offerts aux productions intermittentes ont eu pour effet l’apparition d’une bulle spéculative amplifiée par un développement inadapté des réseaux, des réserves de capacité et des flexibilités, car jugé trop couteux, voire non réalisable technologiquement et industriellement.
4.1. Un révélateur, l’envolée des heures avec un prix spot nul ou négatif
N’est-il pas surprenant que le prix de l’utilité essentielle qu’est l’électricité puisse s’établir en dessous de zéro : c’est la conséquence directe d’un surdéveloppement de l’éolien et du solaire. Le nombre d’heures à prix spot négatif ou nul a plus que doublé de 2023 à 2024 en Europe. En France, il était de 147 h en 2023, et il a également plus que doublé en 2024 avec 361 h. En 2025, avec déjà 500 h à mi-octobre on peut estimer qu’il y aura un quadruplement de 2023 à 2025. Que le consommateur ne se réjouisse pas trop vite, une partie importante des non-productions qui résultent de ces prix négatifs va être payée au prix contractuel et se retrouvera sur les factures ! Une aberration prévisible que notre technostructure ministérielle et la CRE ont été incapables d’anticiper !
4.2. Des conflits d’usage qui se développent
Il y a déjà quelques années, pour éviter d’être submergés par les surproductions allemandes, des États-membres de l’Est de l’Europe avaient mis en place des déphaseurs permettant de couper leurs connexions transfrontalières. Mais, en décembre 2014, c’est l’absence de production intermittente allemande qui a mis en émoi deux pays limitrophes. La figure ci-dessous montre l’évolution de la production allemande du 9 au 15 décembre 2024 : pendant deux jours, les productions d’EnRi allemandes ont été très faibles, inférieure à 4 GW, avec un minimum de 0,078 GW, pour une puissance totale installée de 168 GW. Dans le même temps le prix spot s’est envolé et a frôlé 1000 €/MWh.
L’Allemagne, s’appuyant sur les interconnexions, s’est alors alimentée dans les pays voisins, la Suède et la Norvège en particulier, provoquant une envolée des prix dans ces deux pays, pourtant largement autosuffisants. Le ministre norvégien de l’énergie a alors annoncé sa volonté de couper les interconnexions avec l’Allemagne, dont l’instabilité du marché entraîne une « situation absolument merdique » (sic). Dans la foulée, la ministre suédoise annonce la même décision.
Pourquoi ces conflits ?
- D’une part, les pays déficitaires, plutôt que de payer leur électricité carbonée et la taxe carbone qui l’accompagne, préfèrent s’alimenter sur les marchés voisins décarbonés, provoquant une envolée de leurs prix spot.
- D’autre part, l’insuffisance de développement des réseaux allemands et de ses capacités de compensation de l’intermittence, obligent ses surproductions éoliennes à emprunter des voies détournées pour aller notamment du nord au sud industriel du pays. Ce sont des passagers clandestins, non déclarées lors des prévisions d’échanges entre pays, et qui les parasitent. Lors de leur livraison, les flux physiques de ces transactions transitent quasi instantanément (200 000 km/seconde) sur le réseau européen en suivant la voie de la moindre résistance et non le chemin le plus court. Et si des échanges contractuels prévus à l’intérieur d’une même zone d’enchères (Internal Commercial Trade : ITC), en Allemagne par exemple du nord au sud, ne programment aucun transit par les réseaux des pays voisins, les congestions des lignes HT allemandes les détournent vers ceux-ci, au risque de les saturer ou de restreindre leurs propres flux contractuels. Le gestionnaire du réseau européen ENTSO-E en illustre le principe ci-dessous.
La zone 3 programme une livraison intérieure, du nord au sud de 100, mais la congestion relative des lignes de 3 entraîne le transit de 20 par les zones 1 et 2 avant de revenir dans le sud de la zone.
- La part croissante de ces « loop-flows » non programmées et non désirées, est clairement dénoncée par l’ENTSO-e dans le préambule d’un rapport au titre explicite : « Concilier le marché avec la physique ». Car ces « loop-flows » clandestines réduisent la part utilisable des capacités d’interconnexion nécessaire à l’équilibre des systèmes électriques à forte composante intermittente. De plus les réseaux envahis par ces transits clandestins ne sont pas correctement rétribués.
4.3. Une réponse à double tranchant : un développement anarchique des interconnexions.
La Commission européenne a diffusé cet octobre 2025 une liste à la Prévert de 101 projets de lignes HT transfrontalières (auxquels il faut ajouter pour l’hydrogène 75 réseaux et une vingtaines de stockages), ce qui va encore renforcer les errances actuelles.
- La figure ci-dessous présente les projets engagés ou envisagés à court terme concernant la France.
La France dispose déjà de 20,6 GW à l’export et de 18,7 GW à l’import de liaisons transfrontalières (+ 31 % par rapport à 2020), pour des besoins limités à 12,9 GW (source CRE). Or l’Europe exige des croissances considérables, coûteuses et inutiles pour notre pays, qui sert de déversoir aux productions excessives et intempestives de nos voisins. Il faut donc arrêter tout nouveau projet, en particulier entre notre pays et l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et l’Angleterre. Le comble serait de participer à leur financement.
5. Un chemin de croix
Comment mieux résumer la situation qu’en citant une étude de l’Université norvégienne des sciences et de la technologie à Trondheim, publiée en juin 2024 dans la revue « International Journal of Sustainable Energy » :
- Si l’Allemagne avait conservé son parc nucléaire de 2002 au lieu de l’arrêter progressivement, elle aurait économisé 600 milliards d’euros et au moins autant de CO2 qu’avec le développement massif des énergies renouvelables intermittentes.
- Si l’Allemagne avait de plus investi dans de nouvelles centrales nucléaires elle aurait presque pu atteindre son objectif en matière d’émissions de gaz à effet de serre en réalisant une réduction de 73 % de ses émissions, au-delà de celle actuellement obtenue, tout en réduisant ses dépenses totales de moitié par rapport à la politique énergétique actuelle.
RTE pour sa part assène :
- « Les parcs de production éolien et solaire à l’échelle nationale et surtout européenne induisent une variabilité plus importante dans les flux. Dans le même temps, ils ne participent que marginalement aux mécanismes de gestion de l’équilibre offre-demande et, plus généralement, à la stabilité du système. Cette apparente contradiction pourrait faire peser un risque conjoncturel et tendanciel non négligeable sur l’exploitation du système électrique, tant que les dispositifs en cours d’élaboration ou de déploiement ne seront pas pleinement effectifs. »
- « Les exigences de sécurité d’alimentation du réseau ne sont tout simplement pas compatibles avec un pourcentage trop élevé d’Énergie Fatale Intermittente ».
- « Pour assurer la sécurité du système électrique, le gestionnaire de réseau plaide pour une évolution des règles s’appliquant aux énergies renouvelables ».
- « Le nombre d’épisodes de prix négatifs est en forte hausse ».
- « Il faut une généralisation du mécanisme du complément de rémunération pour les nouvelles installations et une incitation de modulation à la baisse pour les plus grandes installations sous obligation d’achat. Mais le complément de rémunération comporte lui aussi un biais… Les parcs s’arrêtent brutalement quand les prix deviennent négatifs. Quand vous perdez 5 GW de production en quelques minutes, c’est trop brutal ».
Peut-être faudrait-il traduire ces observations et recommandations en allemand !
6. Des prévisions insoutenables
L’Allemagne a programmé 160 GW d’éolien terrestre pour 2045, 70 GW d’éolien en mer et 400 GW de photovoltaïque, soit 630 GW de moyens de production variables et intermittents. Cette capacité est 3,75 fois plus importante que la capacité actuelle de 168 GW, qui pose déjà d’énormes problèmes ! Inutile d’être un expert pointu es-systèmes électriques pour comprendre qu’une telle capacité sera incontrôlable et donc insoutenable face à une consommation qui ne devrait pas dépasser environ 150 GW au maximum l’hiver et beaucoup moins l’été.
- Lors d’une nuit d’hiver avec très peu de vent, les 630 GW seront totalement incapables d’alimenter le pays ;
- Lors d’une journée ensoleillée d’été, le seul solaire produira à lui seul au pic méridien 3 fois plus d’électricité que ne pourra absorber la consommation ! Il faudrait que l’Allemagne s’équipe de capacités d’électrolyse exorbitantes et de stockages d’hydrogènes à la même échelle pour absorber ses énormes surplus. Et ces productions tomberont à zéro avec la nuit.
La conséquence sera évidente pour les pays voisins : ils devront bloquer leurs interconnexions avec l’Allemagne pour éviter d’être complètement déstabilisés et conserver la sécurité d’alimentation et la viabilité économique de leurs systèmes électriques. Il reviendra alors à l’Allemagne d’assumer ses responsabilités.
