POINT DE VUE DE PNC-FRANCE, par Jean Pierre PERVES, Groupe d’experts de PNC
Consultation sur le Programme Indicatif Nucléaire (PINC)
Synthèse de la contribution de Patrimoine Nucléaire et Climat – France (PNC)
- Un nucléaire pilotable au service du climat
Le nucléaire est objectivement l’un des moyens de production d’électricité décarbonée de masse les plus efficaces, avec de remarquables capacités d’équilibrage des réseaux. Il est pilotable, ajustable à la baisse comme à hausse, a une forte inertie pour maintenir la fréquence, est adaptable à la saisonnalité des consommations. C’est une énergie de stock, avec des années de réserves de combustible.
Les programmes nucléaires ont offert des décennies de stabilisation à un niveau compétitif du prix de l’électricité, alors que la tentative de les remplacer par des productions intermittentes est responsable d’une envolée des prix. Le maintien en exploitation des centrales arrêtées depuis 2010 en Allemagne, France et Belgique aurait réduit les émissions de CO2 d’environ 1400 Mt pour chaque décennie de production supplémentaire, soit 3,5 fois les émissions annuelles françaises.
- Une politique européenne résolument antinucléaire
La politique énergétique menée par la Commission est et reste antinucléaire, en dépit des traités, et la robustesse du réseau électrique est fragilisée par un développement excessif de l’intermittence. Le mix européen montre ses limites et les moyens de compenser l’intermittence n’ont toujours pas apporté la preuve de leur efficacité. Le prix de l’électricité affaiblit les entreprises et appauvrit les familles.
Le texte de la consultation rappelle une évidence : à l’horizon 2040, « toutes les solutions énergétiques à émissions de carbone faibles ou nulles (notamment le nucléaire) sont nécessaires pour décarboner le système énergétique de l’UE » et « l’énergie nucléaire est reconnue comme une source d’électricité et de chaleur propre et flexible pour les applications résidentielles et industrielles ». Mais la Vice-présidente chargée de la transition et le Commissaire chargé de l’énergie réitèrent leur opposition à une technologie pourtant maîtrisée par l’industrie Européenne et créatrice d’emplois hautement qualifiés. Les comparaisons présentées par la Commission des divers moyens de production sont systématiquement biaisées car elles omettent d’affecter les coûts complets aux moyens intermittents, éolien et solaire, contrairement aux autres sources de production décarbonées, nucléaire et hydraulique. De même, l’Europe refuse de produire une analyse d’impact tant financière que technique, notamment vis-à-vis de la stabilité des réseaux, des choix qu’elle impose.
- Comment redonner au nucléaire la place qu’il mérite
PNC considère que les priorités, dans le PINC, devraient être:
- La prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs en opération.
- Le soutien à l’industrie nucléaire européenne : engagement sur les réacteurs de forte puissance de 3ème génération, pérennisation des installations du cycle du combustible et de stockage des déchets.
- La relance du développement technologique de réacteurs de forte puissance de 4ème génération surgénérateurs, dans la perspective d’une utilisation complète des ressources (plutonium et uranium 238)
- Le développement de réacteurs calogènes pour décarboner l’industrie.
L’Europe doit respecter une réelle neutralité, technologique et économique, et soutenir chaque pays en fonction de ses atouts et de ses compétences propres. Nucléaire et électricité intermittente doivent se compléter en fonction de leurs caractéristiques et de leurs fragilités, sur la base de leurs coûts complets, et non s’additionner à grand prix avec des soutiens et des règles inégalitaires de soutien et d’insertion des productions dans le réseau.
- Un préalable essentiel pour un PINC efficace
Les priorités sont la décarbonation, la souveraineté et la maîtrise des prix sur le long terme. Tout autre critère ne doit être qu’indicatif et adapté à chaque État-membre, selon ses atouts.
La réglementation européenne actuelle contrecarre toute initiative en faveur du nucléaire industriel. Le PINC doit impérativement proposer des critères d’application qui effacent les stratégies antinucléaires antérieures.
ILLUSTRATION
Nicolas WAECKEL

Mai 2025
Commission européenne : consultation sur le Programme Indicatif Nucléaire (PINC)
Contribution de Patrimoine Nucléaire et Climat – France (PNC-France)
Patrimoine nucléaire et climat- France (PNC-France) est une association non gouvernementale, ne dépendant d’aucune subvention gouvernementale ou industrielle. Financée par les seules cotisations de ses membres, très souvent spécialistes des questions énergétiques, elle défend l’idée qu’un programme écologique mûrement raisonné doit être privilégié, fondé sur des études scientifiques et économiques, et ne laissant place ni aux émotions ni aux idéologies. En ce sens PNC-France considère qu’il est nécessaire que la Commission européenne abandonne enfin toutes les actions et procédures dilatoires mises en place depuis deux décennies pour détruire l’industrie nucléaire.
- Un nucléaire pilotable au service du climat
Il est limpide pour tout scientifique et ingénieur que le nucléaire est, avec l’hydroélectricité, le moyen de production d’électricité de masse le plus efficace pour lutter contre le changement climatique. Outre ses performances inégalées en termes de gaz à effet de serre, il offre de remarquables capacités de pilotage, permettant d’équilibrer rapidement et à tout moment la fréquence des réseaux, à l’instar des grandes centrales fossiles utilisées par nos voisins, tout en s’adaptant à la saisonnalité des consommations. Et c’est de plus une énergie d’anticipation puisqu’il est possible de constituer des réserves pluriannuelles de combustible.
Il est également limpide pour tout économiste que les programmes nucléaires en Europe ont contribué à maintenir pendant des décennies des prix de l’électricité à un niveau très compétitif. C’est malheureusement lorsque leur production et celle des centrales à charbon ont été remplacées par des productions intermittentes que les prix se sont envolés en Europe. Et faut-il rappeler que le maintien en exploitation des seules centrales nucléaires d’Allemagne de l’ouest et de la Belgique, avec celles de Fessenheim en France, aurait eu pour conséquence une réduction des émissions de CO2 européennes d’environ 1400 millions de tonnes par périodes de 10 ans, soit 3,5 fois les émissions annuelles françaises.
- Une politique européenne résolument antinucléaire
Et pourtant PNC constate que la politique menée par la Commission européenne depuis des décennies a été clairement antinucléaire. La composition actuelle de la Commission ne fait que renforcer cette orientation, en dépit des traités et malgré les déclarations lénifiantes des commissaires devant les parlementaires. Or la politique énergétique imposée par celle-ci apparaît de plus en plus fragile, avec un réseau électrique européen qui montre ses limites (gestion complexe de la fréquence entre des pays qui privilégient massivement l’intermittence sans avoir développé les moyens d’y faire face). Elle conduit de plus à une croissance du prix de l’électricité qui affaiblit les entreprises et appauvrit les familles. Cet effet délétère sur les prix aux consommateurs est camouflé derrière les prix de marché et par une action de propagande sur les prix de revient au pied des machines, quand elles produisent, sans tenir aucun compte des conséquences sur les réseaux et sur la gestion de l’équilibre entre consommation et production. Or au final, ce sont les consommateurs qui paient tous les coûts de production, de transport, de distribution et d’équilibrage, à travers un système conçu pour qu’ils n’y comprennent rien. Ce camouflage organisé au profit de groupes d’intérêt financiers et au détriment des consommateurs soulève une interrogation sur l’action des personnes en charge des règles et décisions.
PNC-France donne la priorité à la lutte contre le changement climatique et au renforcement de la souveraineté de l’Europe, mais en respectant l’esprit des traités, qui accordent aux États-membres le principe de subsidiarité et de neutralité technologique dans le domaine de l’énergie, de manière à ce qu’ils puissent exploiter au mieux leurs ressources et compétences propres. C’est d’autant plus essentiel que l’Europe, alors qu’elle reste très dépendante des combustibles fossiles, dont elle est largement dépourvue, est confrontée à des sources d’approvisionnement de plus en plus complexes, onéreuses et incertaines.
Le texte de la consultation souligne cependant, et c’est nouveau, que l’objectif climatique à l’horizon 2040 impose que « toutes les solutions énergétiques à émissions de carbone faibles ou nulles (notamment le nucléaire) sont nécessaires pour décarboner le système énergétique de l’UE » et que « l’énergie nucléaire est reconnue comme une source d’électricité et de chaleur propre et flexible pour les applications résidentielles et industrielles ». Mais par ailleurs, les déclarations successives de la Vice-présidente en charge de la transition propre et du Commissaire en charge de l’énergie montrent que leur opposition à l’Energie nucléaire reste vivace.
Rappelons que, du point de vue de souveraineté, le nucléaire est une technologie maîtrisée par l’industrie Européenne, sous toutes ses composantes, et créatrice d’emplois de haute qualification. Elle est faible consommatrice de matériaux, en particulier des plus critiques, et faible consommatrice de foncier par rapport aux moyens renouvelables intermittents. Du point de vue économique, les comparaisons actuelles présentées par la Commission entre les divers moyens de production sont trompeuses car elles attribuent aux moyens intermittents renouvelables, éolien et solaire, leurs seuls coûts directs. L’Europe se refuse à présenter des analyses économiques globales, tenant compte pour chaque moyen de production de la totalité de ses externalités, afin de converger vers stratégie globale optimisée. Nous en sommes encore loin, ce qui explique en grande partie le manque de compétitivité de l’électricité européenne.
- Comment redonner au nucléaire la place qu’il mérite
Il ne faut pas masquer la difficulté pour l’Europe de rétablir la situation. En effet la réglementation européenne, des dizaines de milliers de pages, a été bâtie pour faire obstacle au nucléaire, sans qu’une étude d’ensemble n’ait pu le justifier. Il est de notoriété publique que quelques pays européens antinucléaires (faut-il les désigner ?), ont été effrayés par la compétitivité du nucléaire, en France en particulier, et ont agi au niveau européen pour imposer leur point de vue et tenter d’éliminer cette technologie.
Le PINC répond-il aux besoins de l’Europe ?
- L’Europe reste largement dépendante de combustibles fossiles auxquels il faut substituer une électricité et de la chaleur décarbonées dans de nombreux secteurs.
- Cette énergie décarbonée va sans doute modifier les rythmes de consommation industriels et domestiques mais de manière limitée pour rester supportables.
- Les développements à venir ne doivent pas créer de nouvelles dépendances, comme celles vis à vis des combustibles fossiles, qu’il s’agisse de matériaux critiques, quasi totalement importés, ou de soumission à des fabrications hégémoniques (comme les panneaux solaires, les batteries ou l’accès aux terres rares).
- Les investissements existants doivent être rentabilisés au mieux (Arrêter des centrales nucléaires performantes est une gabegie dramatique).
- Les investissements nouveaux ne doivent pas générer des compétitions mortifères entre énergies décarbonées, mais chaque filière doit supporter toutes les contraintes qu’elle génère.
Or le PINC ne fait à aucun moment mention du rôle des réacteurs nucléaire de puissance en fonctionnement, ni ne tient compte de ceux dont la construction est engagée ou planifiée dans plusieurs pays européens. Paradoxalement, la Commission est silencieuse sur l’intérêt stratégique d’une technologie fiable et pilotable, qui produit près du quart de l’électricité européenne. Plus encore, elle ignore le besoin de financement d’une filière nucléaire très capitalistique, alors qu’elle soutient massivement les EnRi dont les besoins sont beaucoup plus conséquents si l’on intègre les coûts complets). Le nucléaire est capable de produire pendant des décennies (de 60 à 80 ans au moins), contrairement aux EnRi et les réacteurs de puissance sont adaptés au réseau européen qui distribue de très fortes puissances dans un espace limité.
Comme à son habitude, la Commission européenne met en avant un programme qui peut être qualifié de dilatoire, au détriment des intérêts des consommateurs, industriels et domestiques. La Commission soutient ainsi :
- Le développement de réacteurs modulaires de faible puissance (SMR) qui ne seront pas opérationnels, selon PNC-France, avant de nombreuses années en raison des contraintes réglementaires et du besoin de relance de programmes de R&D très pesants.
- Les SMR électrogènes de 3ème génération sont peu adaptés aux niveaux de puissance requis en Europe. Ils devraient concerner en priorité des marchés hors Europe, dans des réseaux de capacités limitées ou des régions isolées.
- Les SMR calogènes présentent de l’intérêt pour l’industrie et le chauffage urbain et devraient donc être soutenus.
- Les SMR innovants, de quatrième génération présentent de l’intérêt dans la mesure où ils ouvrent la voie à des technologies de rupture pour des réacteurs surgénérateurs faisant appel aux considérables ressources d’uranium appauvri dont dispose l’Europe.
- La poursuite de la R&D sur la fusion contrôlée, voire sur des SMR « fusion », correspond à une vision à très long terme ainsi, une fois de plus, qu’à un alignement sur la politique allemande.
Ces propositions ne répondent pas à l’urgence climatique. Pour cette raison PNC-France considère que les priorités, dans le PINC, devraient porter en priorité sur :
- Le soutien aux programmes industriels dédiés à la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs en opération.
- La relance de l’industrie nucléaire européenne concernant les réacteurs de forte puissance de 3ème génération, les installations du cycle du combustible et de stockage des déchets et la consolidation des formations techniques de la filière.
- La relance du développement technologique de réacteurs de forte puissance de 4ème génération surgénérateurs, dans la perspective d’une souveraineté incluant la ressource en combustible et l’utilisation complète de celle-ci (plutonium issu de la 3ème génération, et uranium appauvri et de retraitement).
- Le développement de réacteurs calogènes.
- Mais il faut remettre de l’ordre dans les priorités de la Commission européenne
L’Europe doit maintenant démontrer qu’elle est capable de respecter une réelle neutralité, qu’elle soit technologique ou économique, et doit soutenir chaque pays en fonction de ses atouts et de ses compétences propres. Nucléaire et électricité intermittente doivent se compléter en fonction de leurs caractéristiques et de leurs fragilités, et non s’additionner à grand prix avec des soutiens et règles très inégalitaires d’insertion des productions dans le réseau. Deux initiatives importantes vont en ce sens avec les créations de l’Alliance européenne du nucléaire (12 pays + deux pays associés) et de l’Alliance patronale pour le nucléaire (14 fédérations et une vingtaine de nationalités). Elles révèlent une forte volonté de relance du nucléaire et de renaissance industrielle de l’Europe. Mais elles impliquent aussi une large simplification des objectifs européens avec une meilleure prise en compte des intérêts nationaux, dont la somme sera plus efficace qu’une politique énergétique administrée par l’Europe et ses clans.
Décarbonation et souveraineté, au meilleur prix, sont les objectifs majeurs et ce sont à eux que la Commission européenne doit consacrer ses efforts. Vouloir multiplier les objectifs parfois contradictoires crée confusions, antagonismes et lourdeurs : proposer des niveaux à atteindre d’énergie primaire, d’énergie finale, de taux d’EnR, de capacités d’interconnexion est utile, mais leur transformation en objectifs doit rester de la décision de chaque État-membre en fonction de ses ressources ou compétences, mais aussi du niveau de décarbonation de son mix. Le seul critère utilisable de manière neutre entre les pays est la tonne de carbone produite par habitant, les autres indicateurs ont été mis en place pour favoriser les pays qui n’ont pas fourni un effort suffisant pour décarboner leur économie.
Remettre l’Europe sur les rails va demander une profonde remise à plat. En effet, la réglementation actuelle bloque pratiquement toute initiative en faveur du nucléaire. Le PINC doit impérativement proposer des critères d’application qui corrigent les défauts des documents antérieurs de la Commission européenne, et efface les stratégies antinucléaires sous-jacentes. Il faut revenir à l’esprit des traités et l’appliquer à toutes les directives antérieures: taxonomie, acte délégué sur l’hydrogène nucléaire (pourquoi reporter à 2028 une reconnaissance évidente de la qualité de l’hydrogène nucléaire), acte délégué sur l’efficacité énergétique dans le bâtiment (qui doit prendre en compte la seule énergie finale), « Competitiveness Compass », « Affordable energy », « Green deal », « clean energy for all Europeans » : toutes ces directives s’acharnent à pénaliser l’énergie nucléaire.
Il y a urgence à relancer le nucléaire industriel. Toute poursuite de la politique européenne actuelle de l’énergie conduit à la ruine et déconsidèrera la Commission européenne. L’histoire jugera sévèrement cet entêtement idéologique retardant, in fine, la décarbonation des usages.