Lettre d’information de la CRE : Débat sur l’énergie, démêler le vrai du faux
Avis de PNC-France
Le 1er septembre 2025 la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) publiait une lettre d’information intitulée « Débat sur l’énergie, démêler le vrai du faux ». Il est nécessaire de rappeler, avant d’évaluer la qualité de ce document, que la CRE est une autorité « dite » indépendante chargée d’apporter une information complète, transparente et compréhensible aux citoyens.
Or, un vif débat sur l’énergie est engagé sur la stratégie énergétique de la France, dans le cadre de la réactualisation de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE3). PNC-France considère que le rôle de la CRE devrait-être la publication d’un document non partisan, synthétique et compréhensible de la situation du domaine qu’elle couvre. Ce n’est pas ce que nous trouvons dans ce rapport et nous suggérons que l’Office Parlementaire des Choix Scientifiques et Technologiques en effectue une analyse critique, d’autant plus que la loi qui devrait précéder la publication de la PPE3 n’a pas encore été complétement débattue et votée
Par ailleurs, force est de constater que la CRE publie des documents et procède à de multiples consultations généralement d’une extrême complexité, sans vision globale, sans synthèse claire et, ce qui est très critiquable quand on traite de telles échéances, sans vision à moyen et long terme. On ne peut que suspecter une volonté, soulignée par les commissions d’enquête successives, de « noyer le poisson » pour renforcer son pouvoir, tendance naturelle de l’administration française.
PNC-France, confronté à ce manque de clarté de l’information officielle et à la dispersion des données accessibles, peut se tromper dans son analyse. Le texte joint ambitionne de collecter les informations éparses disponibles et d’en analyser la globalité. Il en ressort clairement que la CRE, et sa Présidente dans les interviews qui ont suivi cette publication, apportent une information très déséquilibrée, manquant à son devoir d’objectivité. C’est particulièrement criant dans sa présentation très déformée de l’impact des productions électriques intermittentes. C’est scandaleux quand elle les dédouane complètement de tout impact sur la survenue du blackout ibérique du printemps.
PNC-France rappelle la nécessité de la décarbonation de l’ensemble des secteurs d’activité en France, que notre électricité l’est déjà largement, que la politique des 20 années passées est déjà en échec, que le prix excessif de l’électricité nuit à son développement. Un surinvestissement en capacités de production intermittente et aléatoire, tel que proposé dans le projet de PPE3 et soutenu à mots masqués par la CRE (éolien et solaire en particulier), sera inutile et contre-productif. L’évolution prévisible de la consommation dans les 10 prochaines années ne sera pas suffisante pour couvrir les charges financière et d’exploitation des surinvestissements proposés.
La CRE sort très clairement de son domaine et s’implique dans une communication foncièrement partisane en faveur d’un déploiement rapide, coûteux et non nécessaire de l’électricité intermittente. Quant à sa prise de position sur le blackout ibérique, il ne peut que laisser l’observateur pantois !
Le rapport de la CRE, comme ses interprétations, sont inacceptables.
Illustration de Nicolas WAECKEL
|
|
|
On peut noter par ailleurs que la décomposition des prix de l’électricité depuis 2012 est également publiée sur Data.gouv ( https://www.data.gouv.fr/datasets/historique-des-tarifs-reglementes-de-vente-delectricite-pour-les-consommateurs-residentiels/ ). On voit dans cette décomposition que l’abonnement du tarif de base TTC pour une installation de 6kW a été multiplié par un facteur 2,24 de début 2012 à début 2025 et que, parallèlement, le tarif TTC de la part variable (fonction de la consommation) été multiplié par un facteur 1,99. On est loin de l’affirmation péremptoire de la CRE. Il faut rappeler que la facture de tout usager est composée de 3 parties : l’énergie consommée (en kWh), son acheminement (le fameux TURPE) et les taxes pesant sur les deux premières composantes (dont la TVA). Mais la présidente de la CRE, dans deux déclarations récentes sur France-Inter (31 janvier et 6 septembre 2025), s’en tient implicitement au seul premier terme … 2 « Les énergies renouvelables sont-elles responsables de l’augmentation de la facture ? « FAUX » dit la CRE, VRAI, dit PNC-France La présentation de la CRE relève-t-elle d’une forme de tartuferie ? « Le soutien des énergies renouvelables par l’État n’est à ce jour pas directement répercuté sur la facture » … du consommateur. Ce soutien est-il gratuit pour autant ? Bien sûr que non, il est payé par le consommateur ET le contribuable ! Les charges de service public d’électricité (CSPE), liées au soutien des seules énergies électriques renouvelables, et au titre de la seule métropole, ont évolué de 2,9 Mds€ (réalisé) en 2024, à 6,2 en 2025 et 7,66 en 2026, les montants prévisionnels ayant toujours été dépassés dans la réalisation. Donc ça augmente ou ça n’augmente pas ? Autrement dit l’État prélève aujourd’hui l’accise (nouvelle dénomination absconse de l’ancienne CSPE) sur l’électricité de 28,98 €/MWh, augmentée de 20 % de TVA. Les consommateurs ne payent pas le coût marginal faible des EnRi, mais leur coût complet, frais d’acheminement, taxes et part prise en charge par le budget de l’État via l’impôt inclus.
3 « Le tarif d’utilisation des réseaux (TURPE) va-t-il doubler ? « FAUX » dit la CRE, VRAI, dit PNC-France Un peu d’histoire : – en 2009, le TURPE 3 (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité), qui présentait déjà une augmentation moyenne de 40% par rapport au TURPE 2 , ne retenait sur 4 ans que 11,9 Md€ pour ERDF (aujourd’hui Enedis) et 4,7 Md€ pour RTE (auquel s’étaient ajoutés 1,7 Md€ suite à la tempête de 1999), soit au total une moyenne de 4,575 Md€/an. – En 2025, le TURPE 7 propose une augmentation, rendue nécessaire par la forte croissance des dépenses prévisionnelles d’investissements, passant de 2,1 milliards d’euros en 2023 à 6,2 milliards d’euros en 2028 pour RTE et de 5 milliards d’euros en 2023 à 7 milliards d’euros en 2028 pour Enedis. Soit au total une prévision d’investissements annuels passant de 7,1 Md€ en 2023 à 13,2 Mds€ par an en 2028. Les investissements annuels agrégés dans le TURPE ont donc été multipliés par un facteur 1,55 de 2009 à 2023, et pourraient être multipliés à nouveau par un facteur 1,9 entre 2023 et 2028. Sans commentaires. – Dans sa délibération n°2025-79, la CRE elle-même indique que les investissements prévisionnels de RTE ont évolué de 2,287 Mds€ en 2024 à 3,479 Mds€ en 2025, soit déjà +55 %. Et elle confirme que RTE a programmé 4,592 Mds€ en 2026, 4,946 en 2027 et 5,933 en 2028. – Dans son SDDR (Schéma de Développement Du Réseau), RTE revendique l’évolution suivante : |
|
Comment peut-on croire la CRE lorsqu’elle affirme qu’ « après une augmentation en 2025, [le TURPE] évoluera chaque année à un niveau proche de l’inflation » ? Comment est-ce possible alors que la PPE3 envisage une croissance significative des capacités intermittentes qui passeront de 46,5GW en mai 2025, à 91 GW en 2030 puis à 123, voire 153 GW en 2035. Cette affirmation est-elle le résultat d’un manque de vision, ou de la volonté « d’endormir » le consommateur ?
4 « La France a-t-elle prévu d’investir 300 Mds€ pour développer les énergies renouvelables ? FAUX » dit la CRE, proche de la vérité, dit PNC-France La vraie question n’est pas ce que la France a prévu d’investir, mais ce que sont les investissements requis pour respecter les objectifs de la PPE3, investissements qu’il faudra rétribuer (y compris ceux portés par des capitaux étrangers). On y retrouve en ordre de grandeur sur 10 ans d’ici 2035 : – 55 milliards pour les réseaux RTE et environ 40 Mds€ pour ENEDIS. – 15 GWe d’éolien en mer, soit environ 45 à 60 Mds€. – 10 GWe d’éolien à terre, soit environ 10 à 15 Mds€. – 35 à 45 GWe de solaire, soit 35 à 45 Mds€ A ce total d’environ 200 milliards, il faudra ajouter tous les investissements indispensables pour compenser la variabilité et l’intermittence des capacités EnRi programmées dans le projet de PPE3 (stockages, flexibilité, garanties de capacité), encore proposés à un niveau très faible par RTE. Par exemple un stockage sur batterie est estimé à 0,2 Mds € par GWe par RTE : combien en faudra-t-il pour lisser une production solaire de 60 à 100 GWe ? RTE indique aussi clairement dans son SDDR que les surcoûts de réseau ne sont pas limités aux coûts de raccordement : les flux internes d’électricité seront profondément modifiés par des nouveaux points d’injection massifs, pour l’éolien en mer notamment, ou dispersés (remontée des EnRi du réseau Enedis au réseau RTE]. La CRE indique par ailleurs que 18 Mds€ d’investissements sont prévus pour les liaisons avec les EnR terrestres selon les gestionnaires de réseaux (partiellement financés par les producteurs eux-mêmes, sans précision) et environ 37 Mds€ d’ici 2040 pour lier l’éolien en mer au réseau de transport terrestre. Lorsqu’elle minimise les investissements EnRi à venir, la CRE faillit à sa mission et confirme le manque dramatique de transparence des données publiques, éclatées dans des dossiers multiples et abscons, sans aucune présentation globale. Et elle oublie les coûts d’exploitation de ces nouvelles capacités alors que, de manière évidente, la croissance de la consommation sera longue à venir et peinera à compenser les charges financières et d’exploitation consenties.
5 « Est-ce que le développement des énergies renouvelables passe forcément par une augmentation du budget de l’État ? « PARTIELLEMENT VRAI » dit la CRE, Certainement VRAI, dit PNC-France Encore un euphémisme puisqu’il est déjà estimé à 6,9 Mds€ en 2025 et devrait dépasser 7,6 Mds€ en 2026, ce qui représentera une subvention moyenne de 17 €/MWh vendu. Une difficulté, qui explique en partie les réévaluations systématiques de la CRE, vient du phénomène des prix négatifs qui conduit au paiement des non-productions au bénéfice de distributeurs bénéficiant de contrats d’obligation d’achat ou de compléments de rémunération. Ce phénomène ne peut que s’amplifier, ce que la CRE ne révèle qu’à demi-mot en indiquant que « la réalisation de ces prévisions dépendra de nombreux autres facteurs extérieurs (coût énergie, investissements nécessaires) ». La CRE ne fait aucun effort pour prévoir de façon réaliste des budgets à moyen terme ! Cela fait pourtant partie de sa mission.
6 « En 2025, le soutien public aux énergies renouvelables est-il en augmentation ? « VRAI » dit la CRE, mais plus encore que ce qu’annonce la CRE, dit PNC-France |
Il faut d’abord rappeler les quantités et les coûts actuels d’achat des EnRi, tels que révélés par la CRE pour 2025, qui contredisent toutes les déclarations sur la compétitivité des EnRi, (d’autant plus qu’il s’agit des seuls coûts directs).
|
Si la CRE souligne à juste titre les excès sur le photovoltaïque, elle ne s’inquiète ni de l’augmentation constante du coût d’achat de l’éolien terrestre (en raison des clauses de révision des prix), ni des coûts très élevés du biogaz, et encore moins de celui des éoliennes en mer, que nous devrons porter pendant 20 ans et dont les productions seront de plus impactées par les périodes de prix négatifs, au moins pour les parcs déjà engagés. |
– :Pour rappel, le tarif de l’ARENH (mécanisme d’Accès Réglementé à l’Électricité Nucléaire Historique) obligeant EDF à vendre, à perte, un quart de son électricité nucléaire à ses propres concurrents) a été maintenu à 42 €/MWh pendant 13 ans, sans actualisation et sans réaction aucune de la CRE.
|
Par ailleurs, la CRE se réjouit de l’apport de 5,5 Mds € des EnR au budget de l’État en 2022/2023 (consécutif à l’envolée des prix du marché de gros), mais oublie d’en rappeler la cause, à savoir l’enrichissement indu des fournisseurs sur le dos des consommateurs.
7 « Plus les prix de marchés de gros de l’électricité sont bas, plus les EnR coûtent cher à l’État ? « VRAI » dit la CRE, mais encore plus que ce que dit la CRE, dit PNC-France L’explication donnée par la CRE porte ses propres contradictions. Quand elle certifie la compétitivité des EnR électriques, elle note que ce n’est vrai que pour des coûts de marché de gros élevés et oublie de rappeler qu’il s’agit de coûts directs sans externalités (moyens mis en œuvre pour compenser leur intermittence, dont la modulation imposée sans compensation aux moyens de production pilotables, nucléaire en premier lieu).
8 « La France produit plus d’électricité qu’elle n’en consomme ? « VRAI » dit la CRE, et PNC-France précise que cela sert surtout les économies de nos voisins Explication claire à laquelle elle se garde d’apporter une donnée fondamentale, qui résulte de ses propres chiffres : la France exporte à un prix moyen de 66,7 €/MWh, beaucoup trop faible, de sorte que nous soutenons les économies de nos voisins.
9 « Comme la France produit plus d’électricité qu’elle n’en consomme, il n’est pas nécessaire de développer les énergies renouvelables ? « FAUX » dit la CRE, VRAI dit PNC-France, car les EnRi, en renchérissent le prix de l’électricité, freine l’électrification des usages. Quelques rappels : – les importations ne résultent que très partiellement de pénuries de production nationale. Au contraire, la France est contrainte d’accepter des surproductions éoliennes et solaires des pays voisins, très souvent en réduisant sa production nucléaire décarbonée, sans compensations financières. – Le phénomène de la corrosion sous contrainte dans les réacteurs fut exceptionnel et s’est ajouté à la crise du gaz européenne, non rappelée par la CRE. – La consommation d’électricité est atone en raison de l’échec de la politique menée, avec l’appui de la CRE, dans le cadre de la LTECV (Loi de Transition Énergétique pour une Croissance Verte) : échec de la décarbonation des usages, prix élevés de l’électricité, avantages donnés au gaz naturel (taxes moitié de celles de l’électricité, doublement fictif de la consommation réelle des bâtiments tout électrique par la pénalisation du vecteur électrique dans le barème du Diagnostic de Performance Énergétique). L’augmentation de la production d’électricité restera faible dans les prochaines années avec la politique actuelle, ce qui ne justifie en aucun cas l’augmentation des capacités EnRi, déjà surabondantes. – Les gains apportés en réduction de nos émissions de GES sont infimes et ne profitent qu’aux pays voisins, dont beaucoup se sont violemment opposés à la politique énergétique de la France avec son nucléaire et continuent à privilégier le gaz, le charbon et le lignite. Contrairement à ce que dit la CRE, le développement des EnRi doit (et non « peut ») s’adapter à court terme à l’évolution de la consommation et, à l’horizon 2035, à la nécessaire prolongation de l’exploitation du nucléaire actuel et au développement du nouveau nucléaire.
10 « Le black-out espagnol a été provoqué par un trop plein d’énergie solaire que le réseau n’a pas su absorber ? « FAUX » dit la CRE, TRES PROBABLEMENT VRAI, dit PNC-France qui conteste la légitimité de la CRE sur ce sujet. |
La CRE sort clairement de son rôle en certifiant que la part des énergies renouvelables dans le mix espagnol n’a pas été la cause du black-out survenu le 28 avril dernier, alors que le réseau européen (ENTSO-E) a été mandaté pour déposer son rapport dans un délai de 6 mois, conformément à la réglementation européenne, mais ne l’a pas encore publié.
Il n’est pas du rôle de la CRE, pourtant assumé depuis 15 ans, de soutenir le développement des EnRi aux dépens des autres énergies décarbonées. Elle doit défendre le consommateur français ! Il n’est pas de son rôle non plus de couvrir la politique énergétique et la communication du gouvernement espagnol.
Techniquement, des informations partielles ont déjà été données, mais l’analyse globale par ENTSO-E doit être attendue, toute information ne pouvant être que préliminaire.
- Le gestionnaire du réseau espagnol REE pour sa part écrit en conclusion provisoire que : « L‘incident n’a pas été causé par un manque d’inertie du système. Il a plutôt été déclenché par un problème de tension et la déconnexion en cascade des centrales de production d’énergie renouvelable ».
- Dans son point sur l’analyse du blackout du 3 septembre 2025 ENTSO-E indique que :
- « La perte de plus de 500 MW de nombreuses unités de production éolienne et solaire connectées aux réseaux de distribution espagnols est la principale cause de cette évolution. La cause de ces déclenchements reste inconnue, en raison de leur observabilité limitée à moyenne et basse tension ».
- Une perte de production a ensuite été observée en 3 phases dans les régions de Grenade, Badajoz et Séville, représentant un total initialement estimé à 2 200 MW :
- Déclenchement d’un transformateur de production, dû à un problème côté basse tension, dans la région de Grenade, reliant différentes installations de production (photovoltaïque, éolienne et thermo–solaire)
- Déclenchements d’installations photovoltaïques et thermo–solaires connectées à deux postes de transport 400 kV.
- Plusieurs déclenchements, dans différentes zones, en moins d’une seconde : parcs éoliens à Ségovie et Huelva, photovoltaïques à Badajoz, Séville, Cáceres et Huelva, et thermo-solaires à Badajoz.
De quelle autorité et de quelles compétences la CRE dispose-t-elle pour prendre une position aussi politique dans une enquête technique dont elle n’est pas chargée ?
En conclusion
Il apparait clairement que la note d’information de la CRE, supposément destinée à éclairer le citoyen en distinguant le Vrai du Faux, est truffée d’approximations, de biais trompant le lecteur, voire de contre-vérités. C’est un manquement grave aux obligations de la CRE, dont l’une des missions est de protéger le consommateur et d’informer le public.
Est-ce trop rêver que d’imaginer que la CRE, saisie d’un vertueux élan de probité, publie un rapport complémentaire rétablissant la vérité et comblant les omissions ?
