Le stockage géologique des déchets nucléaires est irremplaçable !

24 / 01 / 2025

POINT DE VUE DE PNC-FRANCE, par Jean Pierre PERVES, Groupe d’experts de PNC

Le stockage géologique des déchets nucléaires est irremplaçable !

Notre ami Dominique Grenèche a représenté PNC-France (avec Claire Kerboul) dans les instances de réflexion sur le « Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs» (PNGMDR). Il a en particulier contribué aux travaux du « Comité d’expertise et de dialogue sur les alternatives du stockage en couche géologique profonde ». Ce comité a établi un document, publié le 13 décembre 2024, qui rapporte ses travaux et analyse l’ensemble des questions posées dans le cadre du 5ème PNGMDR. L’article ci-après de Dominique Grenèche « Comité d’expertise et de dialogue sur les alternatives au stockage en couche géologique profonde – Synthèse du rapport du 13 décembre 2024 », présente une synthèse des résultats de ces travaux.

La question, très large, était : existe-il « une [solution] alternative au stockage profond c’est-à-dire une installation, ou combinaison d’installations éventuellement associée(s) à des procédés de traitement et de conditionnement spécifiques, qui permet de garantir le même niveau de sûreté qu’un stockage profond pendant la même durée et sous les mêmes contraintes ».

La comité a examiné cinq grandes familles de solutions alternatives, à savoir l’envoi dans l’espace des déchets, leur immobilisation dans la glace, leur stockage dans les fonds marins, leur stockage en forages de type pétrolier, ou un entreposage en surface de longue durée (ELD) évolutif dans le temps et à renouveler périodiquement.

Au terme d’une année de travail, le comité « considère qu’il n’y a pas actuellement de piste pour une solution alternative au stockage en couche géologique profonde », même si des travaux de recherche pourraient, à long terme, ouvrir la voie à des modes de gestion complémentaires. Il précise que l’entreposage de longue durée en subsurface n’est pas une alternative crédible. Il considère également que « temporiser sur le déploiement d’un stockage en couche géologique profonde (qui est aujourd’hui à un stade industriel) dans l’espoir d’une complémentarité éventuelle liée à la transmutation serait prendre un risque hors de proportion (aux niveaux scientifique, technologique et économique) ».

Il précise que l’entreposage des produits de fission (PF) et des actinides mineurs (AM) dans l’attente de progrès présenterait trop de risques au regard de la toxicité et de la thermicité des matières concernées. Il préconise la poursuite des recherches sur la séparation/transmutation des AM dans la perspective d’une réduction de l’extension des stockages (par réduction de la charge thermique des déchets), mais en les replaçant dans une temporalité réaliste et en tenant compte du stock actuel de déchets, déjà conditionnés dans des verres et qui ne pourront être concerné par cette séparation/transmutation.

PNC-France souligne le sérieux de cette évaluation, avec une analyse qui rejoint celle de ses experts et le consensus international selon lequel le stockage en couche géologique profonde est et reste la solution de référence. PNC-France se félicite de la clarté de la conclusion de ce rapport.

  1. : Ce comité regroupait des représentants institutionnels et des représentants d’associations et d’instances d’information nationales (dont l’ANCCLI) et locales (dont la CLIS).

 

 

ILLUSTRATION

Nicolas WAECKEL

 

 

Janvier 2025

Comité d’expertise et de dialogue sur les alternatives

au stockage en couche géologique profonde

 

Synthèse du rapport du 13 décembre 2024

par Dominique GRENECHE

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En mai 2019, dans le cadre de la préparation du 5ème Plan National de Gestion des Matières et Déchets nucléaire (PNGMDR), l’Institut de Radioprotection et de sûreté nucléaire publiant un rapport qui indiquait que :  « les réflexions se poursuivent sur l’entreposage, la séparation-transmutation et le stockage en forage. Le statut et la nature des travaux menés sur ces trois alternatives diffèrent fortement de l’une à l’autre. Pour ce qui concerne l’entreposage, conçu généralement comme une solution d’attente, les travaux visent à évaluer les possibilités d’extension des durées de vie des installations et à renforcer leur robustesse. Pour ce qui concerne la séparation – transmutation, les travaux couvrent un très large champ de connaissance scientifique et combine des développements pour déployer les technologies envisagées à l’échelle industrielle. Pour ce qui concerne le stockage en forages, des études se poursuivent à l’international, notamment aux Etats-Unis. Elles portent en particulier sur la manutention et le transfert des déchets depuis la surface jusqu’à la zone de stockage ainsi que sur le scellement des forages après mise en place des déchets. »

  1. Un Comité d’expertises et de dialogue sur les solutions alternatives au stockage géologique en couches profondes

Le plus récent Plan National de Gestion des Matières et Déchets nucléaire (PNGMDR), le 5ème, porte sur la période 2022/2026. Dans le décret n° 2022-1547 du 9 décembre 2022 établissant les prescriptions de ce PNGMDR, il est spécifié « qu’il faut maintenir une dynamique de recherche autour des options de gestion alternatives ou complémentaires au stockage en couche géologique profonde ». Une instance dédiée a été mise en place, le « Comité d’expertise et de dialogue sur les alternatives au stockage en couche géologique profonde », désigné ci-après « le comité ». Il vient de publier un document qui rapporte ses travaux et qui a été diffusé à ses membres pour approbation. On peut donc considérer que ce document constitue une version très aboutie du rapport final, qui sera publié en mars prochain. C’est pourquoi on le désigne dans ce qui suit comme « le rapport », l’objet de cet article étant d’en résumer le contenu.

Rappelons au préalable que les membres du comité ont été nommés par une note émanant du ministère chargé de l’énergie. Il est composé de représentants du ministère (DGRI), de la Mission de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (MSNR) du ministère d l’environnement, de l’ASN, de l’ANDRA, d’ORANO, d’associations (PNC, SLC, Voix du nucléaire, Global chance, FNE), de la CLIS de Bure, de l’ANCCLI, du Conseil départemental de la Meuse, de l’Assemblée Nationale, du Groupement d’intérêt public Objectif Meuse. En bref toutes les « parties prenantes » sont représentées au sein de ce comité.

  1. Les solutions alternatives

Le rapport du comité clarifie d’abord ce qu’est une solution alternative au stockage en couche géologique profonde (que l’on appelle dans la suite « stockage profond ») en se référant à la définition qui en est donnée par la Commission nationale d’évaluation (CNE) dans son rapport n°15 de juillet 2021 (p. 23) : « une [solution] alternative au stockage profond est une installation, ou combinaison d’installations éventuellement associée(s) à des procédés de traitement et de conditionnement spécifiques, qui permet de garantir le même niveau de sûreté que celui d’un stockage profond pendant la même durée et sous les mêmes contraintes ». Les critères à prendre en compte pour évaluer ces solutions sont assez nombreux. Citons ici la sûreté, l’environnement, l’éthique, l’impact sur la radioprotection des travailleurs (par exemple en cas de traitement supplémentaire), la faisabilité dans des délais raisonnables, les coûts, l’acceptabilité, en incluant les activités induites par la mise en œuvre de chaque solution potentielle (nouvelles installations industrielles ou nucléaires par exemple).

La temporalité de la disponibilité d’une solution alternative est également un facteur important au regard des recherches en cours, à venir, et de leur transposition en solution industrielle. A cet égard, une proposition, issue du débat public qui a eu lieu en 2005, consistait à réaliser un entreposage à sec, éventuellement en subsurface. Exploité pendant une durée à déterminer, celui-ci avait pour objet principal de donner le temps à la recherche de trouver une solution acceptable, éventuellement une solution alternative au stockage profond.

Pour autant, la doctrine actuelle a bel et bien été définie en 2006, positionnant l’entreposage comme un acte nécessaire techniquement, mais temporaire (pour refroidir les déchets et donc réduire leur radioactivité), avant de disposer des déchets dans un stockage profond. Les études et recherches sur la gestion des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue (HA et MA-VL) ont donc porté depuis sur le stockage profond, intégrant un certain niveau de réversibilité, et sur la transmutation. Une nouvelle loi de 2016 précise ce qu’est la « réversibilité » du stockage : il s’agit de « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ». Elle s’exerce selon plusieurs leviers : progressivité, adaptabilité, flexibilité et récupérabilité. La réversibilité permet de se donner du temps (une centaine d’années dans le cadre de la loi) pour faire autrement en cas d’émergence de solutions alternatives, tout en maîtrisant autant que possible le risque de se trouver sans aucune solution. Le projet Cigeo doit être un stockage réversible pendant une centaine d’années.

  1. La situation internationale

Le rapport présente ensuite un état des lieux de la situation internationale concernant le stockage profond, en distinguant les pays qui ont choisi le stockage en couche géologique profonde et en ont autorisé la construction (Finlande, Suède) et ceux qui ont retenu cette option, mais pour lesquels la procédure de choix du site est en cours (Canada, Suisse, République tchèque), ou reste à définir (Belgique, Allemagne, Japon, Corée du Sud). D’autres pays sont en situation d’attente ou de blocage comme l’Espagne et surtout les Etats-Unis. A l’issue de cette analyse, se dégagent  quatre constats  essentiels ;

  • le stockage en couche géologique profonde est la solution de référence au niveau international.
  • Les délais imposent des entreposages sur de longues durées.
  • L’entreposage multiséculaire n’est pas considéré comme une solution de gestion responsable.
  • L’implication des communautés locales dans l’élaboration d’une solution est généralisée.

Il est important de souligner que dans tous les cas, le stockage direct des combustibles usés est généralement privilégié par les pays qui n’ont pas développé le retraitement des combustibles usés, mais que leur retraitement n’est pas exclu.

 

  1. Les solutions alternatives au stockage profond

Le rapport présente ensuite les analyses du comité concernant les recherches sur les solutions alternatives au stockage profond. Il récapitule cinq grandes familles de solutions alternatives, à savoir :

  • l’envoi dans l’espace des déchets,
  • leur immobilisation dans la glace,
  • leur stockage dans les fonds marins,
  • leur stockage en forages de type pétrolier,
  • l’entreposage de longue durée (ELD) en surface renouvelable dans le temps.

Les trois premières solutions ont déjà été abandonnées dans les phases antérieures de l’analyse. Le stockage en forage, qui reste à l’étude dans certains pays, fera l’objet d’un complément d’analyse par le comité en 2025.

Le comité a analysé en détail l’option de l’Entreposage de Longue Durée (ELD). La commission considère que cette option ne se justifie que sous l’hypothèse d’une société future prospère et stable, hypothèse que notre passé proche n’incite pas à accepter avec confiance. L’ELD doit donc être considéré que non pas comme solution alternative au stockage profond, mais plutôt comme solution d’attente, avec l’espoir que les progrès d’une discipline encore jeune – les sciences nucléaires – puissent déboucher d’ici une période convenue à l’avance, sur une autre solution que le stockage profond. De ce point de vue, un stockage réversible en couche géologique profonde pourrait devenir un ELD, ce qui suppose que l’installation serait requalifiée en ELD, et donc que la récupérabilité des colis serait assurée pendant un temps par définition indéterminé.

Au regard de ces constats, le comité suggère de poursuivre les études sur les ELD de façon à approfondir notamment les connaissances relatives au vieillissement des matériaux et des systèmes, dans des conditions extrêmes liées à la présence de radioactivité, et de maîtriser les modalités de surveillance de l’entreposage tout en veillant à la maintenance de l’ouvrage. Toutefois, le comité fait observer que certains déchets HA produits actuellement auront été, selon le calendrier actuel, entreposés pendant une centaine d’années avant d’être mis en stockage. Ainsi, les ouvrages existants ou à venir, et les éventuels travaux menés pour améliorer et garantir la sûreté des entreposages actuels de déchets de haute activité, contribuent à maintenir un niveau qui pourrait convenir à une solution d’attente.

  1. La séparation-transmutation (S&T)

Elle consiste à réduire très sensiblement la radiotoxicité et la durée de désactivation des principaux déchets HA-VL ( les produits de fissions et les actinides mineurs) en les transmutant. Le comité a examiné en détail la S&T et rappelé que la transmutation des produits de fission à vie longue se heurte à des difficultés majeures qui font que cette option n’est plus étudiée en France. En revanche, la transmutation des Actinides Mineurs (AM)  fait toujours l’objet de recherches et un état des lieux est présenté en annexe II du rapport. Le comité a pu constater que,  globalement, la transmutation des AM pourrait réduire d’un facteur 10 à 100 leur radiotoxicité sur une période allant de 100.000 à un million d’années, et réduire l’emprise du stockage en diminuant la production de chaleur résiduelle des déchets stockés pendant les premiers siècles (l’Américium 241 est un déchet très exothermique).

Cela étant, le comité souligne que la S&T ne peut constituer une solution alternative au stockage profond. D’ailleurs, le comité considère que les déchets déjà produits seraient particulièrement difficiles à reprendre pour séparer et isoler les AM et PF qu’ils contiennent en vue d’une éventuelle gestion différente de celle envisagée aujourd’hui. Leur mode de conditionnement actuel a été développé justement pour garantir leur immobilisation la plus sûre possible.

Le comité considère en outre que les gains éventuels de la S&T sont à mettre en regard des efforts à consentir d’un point de vue technico-économique. Le comité souhaite qu’il soit tenu compte des problématiques qui seraient associées à l’ensemble du processus de transmutation. En effet, la transmutation des AM requiert, dans des installations qui sont à concevoir, la séparation, la manipulation et le transport de matières hautement radioactives en quantités pondérales. L’ensemble de ces facteurs fait que la balance coût-bénéfice de la transmutation des AM paraît défavorable. En conclusion, la commission considère que la S&T comprend de nombreux verrous technologiques et requiert une vision de la stratégie nucléaire à très long terme.

 

  1. EN CONCLUSION

Le comité considère qu’il n’y a pas actuellement de piste pour une solution alternative au stockage en couche géologique profonde. Temporiser sur le déploiement d’un tel stockage y-compris dans l’espoir d’une complémentarité éventuelle liée à la transmutation serait prendre un risque hors de proportion (aux niveaux scientifique, technologique et économique). Les enjeux soulevés par les déchets de haute activité et les maturités trop faibles de la piste alternative, le stockage de longue durée, et complémentaire, la transmutation, ne le justifieraient pas. Entreposer les PF et les AM (car le plutonium serait le premier à être séparé et multi-recyclé) dans l’attente de progrès présenterait également trop de risques au regard de la toxicité et de la thermicité des matières concernées.

 

 

Lire la Synthèse du rapport du 13 décembre 2024 par Dominique GRENECHE au format pdf :

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